OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le prix de la production intellectuelle http://owni.fr/2011/11/08/peut-on-vraiment-vendre-production-intellectuelle-creation-droit-auteur/ http://owni.fr/2011/11/08/peut-on-vraiment-vendre-production-intellectuelle-creation-droit-auteur/#comments Tue, 08 Nov 2011 14:50:07 +0000 william Vandenbroek http://owni.fr/?p=85709

Il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut presque rien acheter ; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant, au contraire, n’a presque aucune valeur quant à l’usage, mais on trouvera fréquemment à l’échanger contre une très grande quantité d’autres marchandises.

Adam Smith

Au Moyen Âge, le livre se vend comme un diamant, c’est un objet rare, difficile à produire et à distribuer. Il s’échange à des prix très élevés et reste la propriété des classes fortunées. Il est conservé précieusement dans des bibliothèques et fait la fierté de ses possesseurs.

Au XXIe siècle, la connaissance se déverse à torrents dans les canaux numériques. Elle est devenue un flux que l’on recueille sur ses timelines Facebook ou Twitter et que l’on souhaite partager le plus largement possible. A l’heure de l’économie de la connaissance, elle est devenue une denrée aussi utile que l’eau, et comme l’eau, son prix est devenu très faible. La presse écrite par exemple, n’en finit pas de voir son chiffre d’affaires diminuer et se retrouve de plus en plus dépendante d’une assistance respiratoire publique ou privée (ce qui nuit évidemment au principe d’indépendance de la presse).

Nous vivons à une époque où la valeur d’usage de la production intellectuelle n’a jamais été aussi élevée, et dans le même temps, sa valeur d’échange n’a jamais été aussi faible.

Comment comprendre, comment interpréter ce phénomène paradoxal ? Pourquoi l’information, la connaissance, la production intellectuelle ne trouve plus actuellement de moyen viable de se vendre ? Et comment trouver d’autres modèles pour les secteurs de la production intellectuelle ?

Qu’entend-t-on par production intellectuelle ? Composer une chanson, c’est de la production intellectuelle. L’interpréter durant un concert, en revanche, n’en est pas: c’est une prestation, un service.

Un article de presse, un roman, l’écriture et la mise en scène d’une pièce de théâtre, la composition musicale sont autant d’exemples de production intellectuelle. Une création architecturale ou la recette originale du Coca-Cola sont également des productions intellectuelles. Bref, il s’agit de toute création originale dont la valeur ajoutée réside dans l’idée plus que dans l’application directe.

Le modèle actuel d’échange de la production intellectuelle repose sur les théories classiques qui ont d’abord été élaborées pour les biens industriels. Le problème, c’est que la production intellectuelle et la production industrielle n’obéissent pas aux mêmes lois en ce qui concerne l’échange et la distribution.

Les conditions de l’échange marchand

Si l’on revient aux conditions de l’échange marchand, on s’aperçoit que pour qu’un échange soit possible il faut trois conditions:

  • D’abord, il ne doit porter que sur des objets, des choses extérieures aux individus, des choses qui relèvent de l’avoir et non de l’être. Un état affectif par exemple ne s’échange pas ; impossible d’acheter du bonheur à un homme heureux pour soulager une dépression !
  • Ensuite, il faut, pour que l’échange ait lieu, une symétrie entre un manque et un excédent ; “c’est parce qu’il y a une égalité de tous dans le manque et parce que, en même temps, tous ne manquent pas de la même chose qu’il peut y avoir échange.” nous signale Frédéric Laupiès dans un petit bouquin intitulé Leçon philosophique sur l’échange.
  • Enfin, il faut pouvoir être en mesure de réaliser une équivalence entre les objets échangés. Cette équivalence se réalise notamment par la monnaie qui permet de “rendre les objets égaux”, de pouvoir les estimer et les comparer entre eux.

Essayons de voir si les conditions de l’échange marchand sont remplies pour les productions intellectuelles.

L’idée toute nue

Lorsqu’un auteur fait imprimer un ouvrage ou représenter une pièce, il les livre au public, qui s’en empare quand ils sont bons, qui les lit, qui les apprend, qui les répète, qui s’en pénètre et qui en fait sa propriété.
Le Chapelier

On dit que l’on “possède” une connaissance. Comme un objet, on peut l’acquérir, la transmettre… On pourrait croire qu’elle est donc un simple avoir immatériel mais elle est aussi un élément constitutif de l’être. On ne peut choisir de s’en séparer délibérément et, plus important encore, on ne la perd pas en la transmettant à d’autres (au contraire). Lorsque l’on vend un marteau, on perd la possession et l’usage du bien. Mais lorsque l’on transmet une connaissance, on ne s’en dépossède pas.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Jusqu’à présent, on était parvenu à vendre de la production intellectuelle parce que celle-ci devait encore passer par un support physique. Avant Internet, un essai dépendait d’un support papier, un morceau de musique dépendait d’une cassette, d’un CD etc.

Le business model de la production intellectuelle reposait en fait sur la confusion entre l’objet et le sens porté par cet objet. L’objet était acquis et valorisé en temps que symbole. On peut vendre un symbole car il est la matérialisation d’une idée porteuse de sens. Lorsque l’on achète des fringues de marque, on n’achète pas seulement un produit fonctionnel, mais on achète aussi le “sens” porté par la marque.

Ainsi, lorsqu’elle avait encore un contenant physique, l’idée pouvait être vendue dans son emballage symbolique mais, avec la dématérialisation totale qu’a permis le numérique, on peut désormais distribuer l’idée toute nue.

Peut-on vendre une idée nue lorsque l’on sait que sa diffusion ne prive personne et qu’on contraire, elle valorise socialement celui qui l’émet?

L’impossibilité de rémunérer les contributeurs

On ne crée rien ex-nihilo. En dehors du secteur primaire, toute production s’appuie sur une création antérieure mais pouvons-nous toujours identifier les sources de nos créations ? Le fabricant de voitures a payé ses fournisseurs en amont qui eux-même ont dû régler leurs partenaires. De cette manière, tous les contributeurs de la chaîne de valeur ont été rémunérés. Mais si je vendais ce billet, me faudrait-il en reverser une part à ma maitresse de CP qui m’a appris à écrire ? Aux auteurs des liens que je cite ? A tous ceux qui m’ont inspiré d’une manière ou d’une autre ? Aux inventeurs de la langue française ?

Ce sont des millions de personnes qui ont en réalité façonné cet article, et qui mériteraient rétribution. Mais il serait impossible de dénouer l’inextricable enchevêtrement d’intervenants qui sont entrés dans ce processus de création. Du reste, il serait assez déprimant de tenter de chiffrer l’apport de chacun…

Il y a donc une injustice fondamentale à vendre à son seul profit, quelque chose qui a en réalité été produite par des communautés entières…

Est-ce cela qui fit dire à Picasso que les bons artistes copient et que les grands artistes volent ?

L’impossible estimation des prix

La dernière condition de l’échange marchand est la possibilité d’estimer la valeur d’une production et d’introduire une équivalence entre les produits.

Déterminer un prix et introduire une équivalence monétaire entre les produits est une tâche déjà compliquée dans le cas d’un produit industriel. Elle a souvent été la cause de clashs entre économistes. Devons-nous valoriser les produits au travail incorporé dans leur fabrication ? Le prix n’est-il que le résultat d’une offre et d’une demande ? Dans quelle mesure dépend-il de la rareté ?

Néanmoins, pour les produits industriels, certains critères objectifs peuvent faciliter la tâche. Un marteau par exemple est un bien standardisé et utilitaire qui ne pose pas d’insurmontables difficultés. Entre deux marteaux, nous pouvons plus ou moins estimer la qualité sur des critères objectifs (matériaux utilisés, montage plus ou moins solide), les fonctionnalités de chaque produit (taille et surface de la masse, arrache-clou ou non…) et fixer un prix minimum qui couvre les coûts de production.

Mais si je décidais de vendre cet article, sur quels critères établir son prix ? Sur le temps que j’y ai consacré ? Cela n’aurait aucun sens … Sur sa qualité ? Mais comment la mesurer ? En comparant les prix de vente d’un article similaire ? Mais sur quels critères le comparer ? A minima, si j’avais un support matériel, un magazine papier par exemple, je pourrais fixer un prix et trouver une sorte de business model. Mais ce billet n’est qu’un assemblage de pixels, un simple petit courant électrique sans réalité physique …

N’étant pas véritablement un avoir, ne fonctionnant pas sur le schéma manque/excédent et ne pouvant être estimée sur des bases suffisamment solides, on voit que la production intellectuelle ne saurait être soumise aux même lois d’échanges que celles qui prévalent sur le marché des biens et des services traditionnels.

Comment valoriser cette production ?

Si vous êtes parvenus jusqu’à ces lignes et que vous aspirez à vivre du fruit de vos œuvres intellectuelles, artistiques ou culturelles, tout ceci pourrait vous paraître un peu décourageant.

Nous parvenons à un point où l’on commence à réaliser qu’il n’y a plus vraiment de rétribution matérielle solide pour les productions intellectuelles.

Mais ne désespérons point ! Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de formes de rétribution à la production intellectuelle ! Il existe d’autres manières d’être rétribué pour son travail, en voici quelques exemples :

  • rétribution en visibilité
  • rétribution en réputation
  • rétribution en confiance
  • rétribution en connaissances
  • rétribution en relations
  • rétribution en amour-propre

Certes, cela ne fait directement gagner de l’argent mais ces rétributions peuvent rapidement se transformer en apports matériels. Sans vouloir nécessairement chercher un “effet de levier” systématique entre l’activité de production intellectuelle, les répercussions du travail de production intellectuelle rejailliront sur vos activités complémentaires et pourront indirectement vous permettre de vivre mieux.

Un musicien par exemple, ne peut plus se contenter de créer des chansons, il doit monter sur scène. Et l’on observe qu’avec la diffusion plus large, plus rapide et beaucoup moins couteuse que permettent les nouveaux médias, les recettes générées par les concerts à travers le monde atteignent des niveaux exceptionnels.

On remarque aussi que certains artistes amateurs ayant réussi à se faire remarquer pour leurs créations ont pu trouver grâce à leur notoriété et au soutien d’un public de quoi vivre de leurs créations. L’humoriste Jon Lajoie a commencé sa “carrière” en diffusant gratuitement des vidéos sur YouTube. Il remplit désormais des salles entières.

En somme, ce qui devient difficile, c’est de vivre uniquement de ses oeuvres intellectuelles et de les vendre pour elles-même.

Je me souviens d’un excellent article lu sur OWNI. Guillaume Henchoz, un journaliste semi bénévole qui exerce d’autres activités rémunérées par ailleurs, comparait sa condition à celle d’un moine en défendant l’idée que “l’on peut pratiquer le journalisme comme un art monastique et bénévole, en parallèle -et non en marge- d’une activité salariée.”

Ora et Labora (prie et travaille), c’est la devise des moines bénédictins. Une devise qui pourrait bien convenir aux acteurs de la production intellectuelle à l’heure numérique. Les moines n’attendent pas de rémunération matérielle pour leurs efforts spirituels.

Ils récoltent des fruits de leur travail physique, de quoi subvenir à leurs besoins physiques et espèrent obtenir des fruits de leur travail spirituel et intellectuel de quoi nourrir les besoins de leurs esprits.


Article initialement publié sur Mutinerie.

Illustrations Flickr Partage selon les Conditions Initiales Paternité gadl & Paternitéedenpictures / Mutinerie

Image de Une Flickr Paternité Partage selon les Conditions Initiales Pas d'utilisation commerciale A. Diez Herrero

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La Pyramide de Maslow appliquée au coworking http://owni.fr/2011/06/23/la-pyramide-de-maslow-appliquee-au-coworking/ http://owni.fr/2011/06/23/la-pyramide-de-maslow-appliquee-au-coworking/#comments Thu, 23 Jun 2011 06:28:43 +0000 william Vandenbroek http://owni.fr/?p=71334 Vous souvenez-vous de la bonne vieille pyramide de Maslow que l’on vous a sans doute enseignée à l’école ? Vous savez, cette pyramide des besoins humains qui permet de les classer et de les hiérarchiser d’une manière dynamique … Si l’on en croit Maslow, les besoins situés à la base de la pyramide doivent être globalement satisfaits pour rendre possible la réalisation des besoins supérieurs.

Je me suis amusé à appliquer cet outil d’analyse au coworking pour voir ce que cela pouvait donner. Appliquée au coworking, l’analyse de Maslow signifierait qu’il convient d’assurer les services de base dans un premier temps pour permettre aux coworkers de progresser vers les échelons plus élevés de la pyramide.

Au delà du coté matériel, le coworking a pour ambition d’offrir un cadre adapté à la réalisation individuelle de ses membres

Il répond à des besoins aussi différents que « il me faut un endroit où je puisse être à l’aise pour travailler, ça pue trop chez moi », à « j’ai besoin d’avoir une gueule auprès de mes clients », « j’ai besoin de gens avec qui partager mes joies et mes peines professionnelles » ou « j’ai besoin d’être dans une dynamique plus créative »…

Le coworking à la Maslow, ça donne ça :

Besoins de base

Les besoins de base sont en quelque sorte les besoins physiologiques du travailleur indépendant qui souffre de ne pas disposer d’un espace de travail vraiment opérationnel. Avant toute chose, un espace de coworking doit pouvoir offrir de quoi permettre à chacun de travailler dans de bonnes conditions :

• Un wifi performant

• Un poste de travail confortable

• Des équipements adaptés (imprimante, scanner etc…)

• Des espaces de rangement (casiers)

• La possibilité de manger et de boire (dans l’espace et grâce à la proximité de lieux de restauration dans le voisinage)

• Une salle de réunion

• Un maximum de proximité avec le domicile du coworker

• Un maximum de calme dans les espaces dédiés au travail individuel

Echapper à la terrible malediction de la procrastination

Besoin de sécurité

Devenir indépendant est un choix de vie qui signifie une baisse de visibilité quant à son avenir. Exit les revenus fixes et prévisibles du temps où vous étiez salarié, bonjour les responsabilités pesantes et les choix flippants. Et vous ne pouvez plus demander conseil à votre chef ou à vos collègues lorsque vous êtes confrontés à une situation délicate… Cette insécurité qui est le lot commun des indépendants peut toutefois être atténuée par le coworking.

Sécurité financière (les coworkers ne paient que lorsqu’ils sont présents, ce n’est pas une charge locative fixe)

Climat de confiance

• Ambiance détendue

• Possibilité de bénéficier de conseils

Besoin d’appartenance

L’époque où Renaud chantait « vivre libre, c’est souvent vivre seul » est peut-être derrière nous. Un espace de coworking c’est avant tout une communauté réunie autour de valeurs et de modes de vie partagés. Un espace de coworking digne de ce nom permet aux indépendants d’être partie intégrante d’un crew qui vit, travaille et agit ensemble. Cela se manifeste notamment par :

• Des évènements professionnels et festifs qui rassemblent la communauté

• Le développement de relations amicales entre les membres

• Un Coworking Visa qui fait de vous un membre de la communauté internationale des coworkers

• La naissance d’initiatives collectives entre les membres

Besoin d’estime

Un espace de travail performant, un environnement structurant, une communauté qui vous ressemble et vous soutient … Le cadre est en place pour pouvoir permettre à chacun de s’exprimer. En étant membre d’une communauté de coworkers, il devient possible :

• D’être reconnu pour ses compétences

• De devenir acteur de la communauté

• D’avoir une audience pour ses projets

Besoin de réalisation

Voici le stade suprême auquel nous rêvons tous de parvenir ! Et pour cela aussi, rejoindre un espace de coworking peut être utile. Un espace de coworking permettra :

• D’être dans un état d’émulation créative

• De continuer à progresser via des formations et des échanges quotidiens

• De vivre et travailler en accord avec ses valeurs

• De transmettre ses connaissances

Jean-Michel a escaladé les échelons de la Pyramide. Il en parle sur Mutinerie.


Publié intialement sur Mutinerie, sous le titre, La Pyramide de Maslow du coworking

Via Flickr CC-by-nc-nd par Slorp ; Via Wikimedia Commons pyramide de Maslow

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La Théocratie Numérique http://owni.fr/2011/06/13/la-theocratie-numerique/ http://owni.fr/2011/06/13/la-theocratie-numerique/#comments Mon, 13 Jun 2011 11:58:28 +0000 william Vandenbroek http://owni.fr/?p=67587

Infinies sont les différences particulières des mœurs et des lois entre les hommes; mais on peut les résumer ainsi : les uns ont confié à des monarchies, d’autres à des oligarchies, d’autres encore au peuple le pouvoir politique. Notre législateur n’a arrêté ses regards sur aucun de ces gouvernements ; il a – si l’on peut faire cette violence à la langue – institué le gouvernement théocratique plaçant en Dieu le pouvoir et la force.

Voici ce qu’écrivait l’historien Flavius Josèphe le premier à avoir forgé le concept de théocratie. Dans son sens initial, la théocratie consiste à remettre à Dieu, entité immatérielle, le pouvoir politique, c’est à dire, à lui confier la mission de réguler les relations au sein et entre les communautés humaines.

Depuis l’apparition d’un web toujours plus collaboratif, communautaire et mobile, ne sommes-nous pas en train de transférer progressivement le pouvoir politique vers Internet ? Ne sommes-nous pas en train de confier à une entité immatérielle, la lourde tâche de gouverner les hommes ?

Dieu(point-zéro) ?

la Grande Toile Numérique partage de frappantes similitudes avec le Divin Créateur. Comme Dieu, Internet est éternel et immatériel. Il est intangible mais pourtant « présent au milieu des hommes ». Il n’est la propriété d’aucun peuple, d’aucun gouvernement, d’aucune institution. Il n’appartient à personne et ne doit rendre de comptes à personne. Il est universel.

On prête souvent à Dieu trois qualités majeures, la capacité à être partout, celle de tout savoir, et bien entendu la toute-puissance. Voyons voir si Internet peut rivaliser dans ces domaines:

Internet Omniprésent

Depuis quelques années, Internet a quitté les caves obscures des foyers pour s’immiscer dans nos sacs puis dans nos poches. L’Esprit est partout !

Il est là lorsque l’on dégaine son Smartphone pour trouver son chemin. Il est encore là dans nos cercles d’amis lorsqu’il s’agit de vérifier un fait sur Internet en pleine conversation. Il nous guide à tout moment, sur les chemins de la connaissance, sur ceux de l’amitié ou du travail. Il nous guide aussi sur les chemins de traverse et les sorties mal signalées de l’A86…
Demain, il se pourrait qu’on l’inclut dans notre propre corps et que nous puissions nous unir à l’Esprit par la simple force de la pensée.

Internet Omniscient

Inutile de chercher à fuir le regard de Dieu tel Jonas espérant se cacher du Très-Haut en quittant son pays, Internet sait tout !

Il connaît tout de vous, il sait qui sont vos amis, quelles sont vos lectures, vos distractions, vos idées comme il connaît vos vices les plus inavouables.

Votre historique, vos pages Facebook, Twitter, Foursquare et autre permettent à la divine entité numérique de vous connaître à fond, à tel point qu’il devient capable d’anticiper vos attentes et de vous aider à y répondre.

Internet Omnipotent

On mesure souvent la puissance d’un être à sa capacité créatrice ou destructrice, et en la matière, Internet n’est pas si loin derrière notre Divin Créateur.

Certes, ne vous attendez pas à voir la foudre tomber sur les méchants ni la mer s’ouvrir pour les exilés du numérique, chassés par le vil HADOPI, mais le pouvoir d’Internet est impressionnant et sans cesse grandissant.

En 10 ans, Wikipédia a rassemblé la somme de connaissance la plus énorme jamais compilée par l’humanité. N’est-ce pas là une prouesse aussi impressionnante que celle de Jésus qui promettait de pouvoir reconstruire en 3 jours le temple de Jérusalem ? Internet est désormais capable de renverser les dirigeants, il l’a montré en Tunisie, en Egypte. Il a été au cœur de révoltes en Iran et cette dynamique ne s’arrêtera pas de sitôt.

Promesses divines, Promesses numériques

Quand on est Dieu et que l’on veut se faire entendre des hommes, il ne suffit pas d’être balèze, il faut encore savoir leur parler à ces mortels. Internet semble avoir bien compris cela car il porte les principales promesses capables de fonder une religion :

Promesse de Vérité

« Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres »

disait le Nazaréen. Internet pourrait en dire autant puisqu’il est de loin la plus grosse somme de connaissance jamais rassemblée par l’humanité et la plus facilement accessible par dessus le marché. Du savoir à l’infini pour nos esprits ignares, voilà ce que c’est ! En plus de la connaissance, Internet apporte une plus grande transparence et rétablit la vérité là où régnaient le mensonge, la propagande et la conspiration. Wikileaks est sans doute l’exemple le plus frappant mais il est loin d’être le seul. Certain sites internet proposent carrément de noter l’entreprise dans laquelle vous travaillez et les réseaux sociaux contribuent également à renforcer la transparence entre les membres.

Promesse de Spiritualité

Toute religion a pour objectif de nous soulager de la pesanteur d’un monde dans lequel la nécessité matérielle doit dicter nos lois et nos comportements.

Souvenez-vous de la promesse de Jésus : « Suivez-moi, et vous n’aurez plus jamais faim » … Et bien, la Théocratie Numérique porte lui aussi cet engagement.

Internet, dématérialise ; plus besoin de papier ni de logistique pour diffuser l’info. Plus besoin de studios de musique pour composer. Plus besoin d’aller au boulot pour travailler… A cela, il faudrait ajouter que l’économie du partage, rendue possible par Internet permet de profiter de certains objets à tout moment, sans devoir nécessairement les posséder. Dans ces conditions, l’accumulation de biens matériels paraît non seulement inutile mais également inepte et contre-productive.

Promesse d’Immortalité

Que serait une religion qui ne nous promettrait pas un minimum d’immortalité ? Mais quand nous mourons, que la poussière redeviendra poussière, internet pourrait bien nous garantir une vie (numérique) après la mort.

Le site la vie d’après.com propose aux internautes un ensemble de services vous permettant de continuer à diffuser des messages à vos proches après votre mort, de gérer votre identité numérique post mortem de sauvegarder vos données numériques éternellement ou de stocker vos mémoires pour vos descendants. Certains projets encore plus fous comme le projet mylifebits se propose d’enregistrer numériquement toutes les « données » de votre vie afin de pouvoir les stocker et les transplanter ultérieurement dans un autre organisme.

Internet pourra-t-il gouverner les hommes ?

« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Saint Paul, Epitre aux romains

Si internet ressemble à Dieu, et qu’il semble capable d’être à l’origine d’une nouvelle religion. A quoi pourrait ressembler cette nouvelle Cité de Dieu numérique ? Internet pourra-t-il prendre en charge la destinée de l’humanité ? Voilà des questions qu’il faut commencer à considérer sérieusement !

Pas évident toutefois d’y répondre car à l’image des voies du Seigneur, celles du Web sont impénétrables, mais je vois tout de même poindre trois tendances qui me paraissent aller en faveur de l’avènement d’une Théocratie Numérique :

Internet fédérateur

Pour gouverner les hommes, il faut d’abord savoir les unir. Internet est devenu capable de rassembler, de fédérer des communautés jusqu’alors dispersées ou mal consolidées. On le voit sur les réseaux sociaux réunissant et consolidant les cercles d’amitiés, les contacts personnels ou professionnels. On mesure la capacité de rassemblement du Web lors de flashmobs ou de manifestations contestataires.

Pour fédérer, Internet n’a pas eu besoin d’hommes politiques charismatiques, de tribuns valeureux, de syndicalistes tonitruants ni de structures révolutionnaires clandestines. Il n’a en somme plus besoin ni de s’incarner, ni de s’institutionnaliser. Une première dans l’histoire de l’humanité.

Internet organisateur

Internet est devenu la première force d’intelligence collective de l’humanité ce qui en fait un instrument décisif au service de l’organisation de la Cité. Les moteurs de recherches comme Google, structurent et ordonnent les flots d’information en ligne et leur donnent une cohérence globale en faisant ressortir les informations les plus pertinentes. D’autres outils d’organisation, de structuration ou de curation d’information existent comme par exemple Quora, qui permet de structurer des questions/réponses de manière intelligente ou Pearltrees qui permet à chacun d’organiser et partager ce qu’il aime le plus sur internet.

Le mode d’organisation des données, des réseaux et des idées proposé par Internet est tout à fait original ; il est organique et se passe de hiérarchie. Chacun est libre de proposer ce qu’il souhaite, les bonnes initiatives seront retenues, les mauvaises seront renvoyées dans les abîmes. Non pas par des décisionnaires au pouvoir mais par chacun de nous et de manière virale.

Sur Internet, chacun peut être force de proposition selon ses compétences ou ses inspirations et force de sélection selon ses goûts ou ses besoins.

C’est typiquement le comportement que l’on adopte sur Twitter ; On propose du contenu original et on filtre ceux qui nous ont le plus marqué dans le fil de twits quotidien… C’est peut-être cela le modèle d’organisation du futur.

Internet Justicier

Pour être tout à fait capable de gouverner, il faut savoir enfin établir la justice. Internet, là encore commence à investir cette fonction. Au delà du coté anecdotique de l’enquête en « crowdquesting » d’internautes anonymes autour de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnes, qui montre avant tout que les traces numériques laissées sur Internet peuvent être exploitées facilement. Au delà du canon LOIC qui permet à n’importe quel internaute d’attaquer une liste de sites hostiles par deni de service et révèle avant tout le coté « glaive tranchant » et à vrai dire un peu sauvage de la justice Internet, il y a surtout je crois l’instauration progressive d’une E-thique, d’une E-tiquette et d’outils permettant de fonder une E-réputation capable de valoriser les comportements coopératifs, et de sanctionner les abus.

Ne nous emballons pas complètement, Internet est encore un jeune Dieu tout juste sorti des limbes métaphysiques dans lesquelles il sommeillait jusqu’à présent. Il est encore trop faible pour être totalement indépendant de certaines structures humaines. Certains États peuvent encore le museler, certaines entreprises peuvent encore s’approprier une partie de sa divine puissance à leur profit. Il a encore besoin de l’intermédiaire de quelques instruments matériels (ordinateurs, smartphones, serveurs…) pour s’exprimer pleinement. Ainsi, pour ceux qui attendent l’avènement de la Cité de Dieu sur terre, pour les zélotes du numérique, il reste encore bien du chemin afin que s’établisse le règne du Web sur Terre ! Mais la foi transporte les montagnes n’est-ce pas ?


Photos FlickR CC : PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification imjustcreative PaternitéPartage selon les Conditions Initiales Meathamper, PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Sasha Nilov

Article initialement publié sur Mutinerie

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Comment l’économie du partage crée du lien social http://owni.fr/2011/06/05/comment-leconomie-du-partage-cree-du-lien-social/ http://owni.fr/2011/06/05/comment-leconomie-du-partage-cree-du-lien-social/#comments Sun, 05 Jun 2011 08:17:53 +0000 william Vandenbroek http://owni.fr/?p=65923 Le XXème siècle aura été incontestablement celui de l’échange marchand. Jamais l’humanité n’avait autant commercé, exporté, importé. Jamais les transactions n’avaient été aussi simples et rapides. Le volume du commerce mondial a triplé depuis la chute du mur de Berlin et a connu une croissance presque exponentielle [en] jusqu’à la crise économique de 2008.

Bizarrement, alors que les hommes entraient toujours plus en interaction et devenaient toujours plus dépendants les uns des autres, ce XXème siècle aura connu un immense délitement des structures sociales traditionnelles sans création d’autres structures alternatives efficaces. Religions, nations, classes sociales, familles… Toutes ces institutions ont été bousculées et affaiblies. Même les grandes entreprises, qui étaient pourtant les principales structures de cette économie sont remises en cause à leur tour…

Ce paradoxe bizarre entre l’accroissement des relations humaines et la diminution du lien social pourrait-il trouver une explication dans la nature trompeuse de l’échange marchand ?

Quand l’échange marchand abolit la relation

Lorsque l’on achète du pain à son boulanger, nous n’éprouvons pas nécessairement de la reconnaissance ; après tout, nous l’avons rémunéré pour son service, nous avons payé, grâce à l’argent issu de notre propre travail, l’équivalent de ce que nous lui devions. Nous avons soldé nos dettes, nous sommes quittes.

L’échange suppose donc le retour au même, à une situation initiale : L’équivalent de ce que l’on a donné étant reçu en retour, il n’y a plus de rapport de dette envers l’autre. L’échange permet d’être quitte. Il est en quelque sorte une relation qui abolit la relation : il efface le lien à l’autre, renvoyant chacun dans son indépendance.

Frédéric Laupiès, Leçon philosophique sur l’échange

Une économie basée sur l’échange marchand fabriquerait alors des individus toujours plus dépendants les uns des autres mais paradoxalement plus isolés, chacun ayant l’impression de ne rien devoir à personne.

Don et contre-don

Contrairement à l’échange, le don ne cherche pas l’équivalence, il surgit de la seule volonté d’un individu. Il est proposé au receveur comme un pacte d’alliance (« ce qui m’appartient t’appartient maintenant »). Il peut générer une dette morale incitant le receveur à donner à son tour. Mais, même en cas de contre-don, la relation ne sera pas abolie, car n’étant pas quantifié, l’objet du don ou du contre-don ne pourra jamais être totalement soldé. Il laisse donc une trace irréversible.

L’anthropologue Marcel Mauss [en] a étudié les systèmes d’échange basés sur le système don et contre-don [pdf] dans plusieurs sociétés primitives. Ce système appelé Potlatch, fonctionne de la manière suivante :

  • Le donneur donne quelque chose d’une certaine valeur (objet, aliments, aide…)
  • Le receveur se doit d’accepter. S’il n’accepte pas, cela signifie qu’il refuse le rapport social.
  • Le receveur doit rendre un élément d’une autre valeur, de préférence supérieure, et pas immédiatement. S’il rend immédiatement, c’est qu’il refuse le rapport social.

Ce qui fonde la relation dans l’économie du Potlach, ce n’est pas un contrat mais la reconnaissance du don, qui est aussi la reconnaissance de sa propre dépendance.

Or c’est précisément l’acceptation de sa dépendance qui crée le lien social. Cette conscience de notre propre dépendance nous relie non seulement les uns aux autres mais entraine un besoin de donner en retour, de donner à d’autres pour tenter de s’acquitter globalement de ses dettes envers l’humanité.

Selon Marcel Mauss, le don en tant qu’acte social suppose que le bonheur personnel passe par le bonheur des autres, il sous entend les règles d’éthique : donner, recevoir et rendre.

Vers de nouvelles civilisations ?

Les points communs entre l’économie du partage et le système de Potlach sont évidents. Sur Internet, on mesure quotidiennement notre dépendance aux autres. Untel a rédigé gratuitement, anonymement un article de Wikipédia qui m’a permis d’approfondir mon billet, untel a créé un plug-in bien utile pour mon site, la musique que j’écoute, les vidéos que je regarde ont été mises à ma disposition par des inconnus et les forums sont peuplés d’internautes généreux qui répondent rapidement à toutes vos questions

En agissant ainsi, ces donateurs numériques envoient une gigantesque proposition d’alliance à l’ensemble de la société. Chacun de nous peut l’accepter (ce qui signifiera l’acceptation du rapport social) et offrir par la suite un nouveau contre-don.

Autre point commun, l’économie du partage, comme l’économie « don et contre-don » repose sur la confiance entre les individus, sur leur propension à collaborer, sur l’honneur et la fierté de chacun ainsi que sur une connaissance d’un certain nombre de règles tacites. Cette nouvelle économie du partage (au demeurant bien plus dynamique que son alter égo reposant sur l’échange marchand) me parait en mesure de créer un nouveau lien social, de jeter les bases de nouvelles structures sociales et, j’irais même jusqu’à dire qu’elle pourrait engendrer de nouvelles civilisations.


Article initialement publié sur le blog Mutinerie sous le titre “L’échange, le don et le lien social”

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