OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Chroniqueur pop: fin d’un monde et retour à la niche http://owni.fr/2010/04/13/chroniqueur-pop-fin-dun-monde-et-retour-a-la-niche/ http://owni.fr/2010/04/13/chroniqueur-pop-fin-dun-monde-et-retour-a-la-niche/#comments Tue, 13 Apr 2010 10:42:45 +0000 Emgenius http://owni.fr/?p=12140 Dans ce billet, Emgenius s’interroge sur l’évolution des fanzines et blogs musicaux et sur les liens qu’ils entretiennent avec l’industrie du disque.

Titre original:

La niche musicale : icône communicationnelle, et maillon faible de l’économie culturelle de masse

A la niche, Mauricette!

Avec un titre pareil tu te crois au moins dans une analyse bourdieusienne ou un article de Bernard Guetta. En fait non, ce n’est que moi…  et un simple constat. Cette semaine je me suis plongé dans la lecture des aventures de Gerald de Oliveira, que nombre de musicophiles connaissent plutôt parce qu’il est le bonhomme derrière un des premiers blogs totalement indé, totalement gratuit, totalement dévoué, A Découvrir Absolument, et navigue dans les mêmes eaux que notre bon vieux Benzinemag, depuis des temps quasi immémoriaux.

Au fil des années, ADA a réussi à imposer son style à la chronique mitraillette au gré d’albums reconnus, de groupes en développement et d’artistes non signés. Au point que je me suis souvent demandé : mais comment fait-il pour écouter autant de musique et surtout : « où trouve-t-il le temps de critiquer de plus en plus d’albums sur son site, avec une régularité d’horloge ? » et de développer, en plus, des compilations à télécharger toujours plus pointues, toujours plus indé. Je dois l’avouer. Longtemps j’ai jalousé la rapidité du bonhomme et son pagerank Google ;-)

Récemment Gérald a signifié aux internautes qu’il jettait le gant. Que pour cause de naissance et de projets personnels, il arrêtait la course à la chronique et au toujours plus, pour ne se concentrer plus que sur de sporadiques compilations, regroupant ses coups de cœur du moment.

Cet aveu, qui n’engage que son auteur est cependant symptomatique de deux grands mouvements à l’œuvre dans le monde culturel. Mais on pourrait aisément généraliser au  « en ligne » assez facilement.

Il devient de plus en plus facile de produire, enregistrer et diffuser > Difficile de suivre le rythme

Contrairement à Pascal Nègre, je pense que le téléchargement massif et l’accès gratuit à la musique a permis à une génération aujourd’hui post adolescente, d’avoir accès à un catalogue de tires qui nous a été interdit quant à nous.

Image CC FlickR par Brian Lane Winfield Moore

Les gamins qui ont pris les guitares, les ordinateurs et les sampleurs après 2000 ont en général eu accès à un catalogue, que mes cassettes magnétiques faites avec amour suite aux visites en médiathèque n’auraient jamais pu égaler. Le corollaire, c’est qu’un maximum de groupes fomentés dans les garages de l’Essonne, de Jette ou de Brooklyn ont débuté avec une connaissance des œuvres des aînés incomparable.

Globalement, j’ai tendance à croire que cet accès a donné à la jeunesse « qui joue de la musique » une certaine maturité que nous ne pouvions avoir à notre époque ; et globalement une musique plus efficace dès les premières notes. Donc plus enthousiasmante aussi à écouter.

Par ailleurs, n’en déplaise aux majors qui vantent leur labeur de loueur de studios et d’orchestre, force est de constater aussi, que là où mes camarades de fac pouvaient espérer au maximum produire une cassette sur leur quatre pistes, les gamins élevés au super Poulain et à ProTools sont aujourd’hui capables, depuis leur chambre de produire des « entités musicales », des albums, qui ont peut à envier à certaines des productions réservées jadis aux groupes en développement des maisons de disque.

Mieux encore, suite aux crises à répétition qui ont frappé le secteur, il y a fort à parier que les maisons de disque encouragent désormais un type de production similaire pour leurs artistes maison (combien d’interviews ais-je lui d’artistes qui expliquent s’être retirés dans une chapelle pour écrire leur album ou avoir composé la totalité de l’album dans le garage de Joe).

Le résultat est que nombre des premières démo de ces nouveaux groupes n’ont pas grand-chose à envier aux grands frères signés en maison de disque et arrivent très souvent avec bonheur auprès des webzines comme Benzinemag ou ADA, qui ont du coup bien du mal à refuser des démo super abouties, super léchées, qui ont parfois le petit grain de nouveauté qui nous émeut, ou que nous devons laisser sur le côté pour la seule raison, non technique, qu’il s’agit d’un n ième clone des Strokes ou une centième version de Kid A. Il n’empêche que globlament le niveau des démos est devenu très professionnel.

“Le Directeur Artistique est devenu la foule”

Avec l’avènement du web et les boosters que furent en leur temps les pages « official sites » et myspace des groupes, on a pu se mettre à écouter les démos de ces kids de chambre, émergeant des quatre coins du monde, sans filtre marketing, sans barrière de langue, sans halte, sans arrêt.

Et les démos de bidouilleurs isolés ont réussi à toucher un public parfois énorme avant même d’avoir donné ne fut-ce que l’ombre d’un concert dans la salle de gym du lycée. L’industrie en perte de vitesse s’est sentie spoliée d’un rôle de plus, celui de média, et a tenté de compenser les baisses de ventes d’albums par la production de masse de groupes en développement, tentant de compenser ce qu’ils perdaient en masse de vente sur un album par des coups possibles sur de multiples albums.

Côté fanzine, on a donc continué à voir débouler les démos super abouties de groupes non signés en quête de notoriété, diablement efficaces, et les albums de labels parfois plus petit ou non qui diffusent quantité d’albums en général plutôt plus que corrects, car portés par un buzz de fans, de communautés d’amateurs en ligne.

Le DA est devenu la foule, et la foule faite de plein de foules, réparties dans le monde, aux distances et au temps aboli par le web. Pour les webzines, comme d’ailleurs pour les installés de type Inrocks, Rolling Stones, Magic et consorts c’est devenu un peu comme une course à l’écoute. Pour rester généraliste, indé mais pertinent, il faut multiplier ses oreilles ou diminuer son temps de sommeil. Ce qui n’est viable ni si on a des impératifs financiers, ni si on entretient une vie professionnelle en parallèle.

Le désarroi des gloseurs de sorties

C’est à cette époque (il y a trois quatre ans) qu’on a vu les magazines recourir à de plus en plus de stagiaires pour les chroniques papier / web (diluant parfois l’essence des magazines au gré de plumes pas encore suffisamment mûres), user d’artifices comme les dossiers thématiques ou les hors série pour garder un lectorat captif ou un rôle de « carte IGN » dans un univers en perpétuelle ébullition qu’ils sont par ailleurs obligés de suivre sous peine de ringardisation.

C’est à cette époque aussi que sont nés plein de webzines très ciblés : untel sur la musique indus uniquement, untel sur le rap français en particulier, tel autre sur les musiciens belges… comprenant que puisqu’il devenait impossible de couvrir un scope complet, il valait mieux se spécialiser et engranger les pages vues auprès d’une ligne de fan, comme il existait jadis des lignes de produit. C’est depuis cette époque aussi qu’avec Benoît chez Benzine on cherche à dynamiser notre petite équipe, pour augmenter à la fois le confort de lecture, la rapidité de communication sur des bons groupes en phase ascendante, et une petite équipe dont le bénévolat rebute parfois dans la régularité des contributions.  C’est depuis cette époque aussi, que je me fais souvent rappeler à l’ordre par les labels qui nous contactent, parce que forcément, je suis toujours en retard d’une écoute, d’un bon coup, d’un newcomer.

Cette pléthore de sorties est difficile à gérer et ADA vient d’illustrer le désarroi de plein de fanzines, même si on se le cache souvent derrière le plaisir d’écouter des titres généralement bons. Cette offre pléthorique est ressentie aussi par le grand public, qui (et je suis sûr que c’est aussi un facteur de la baisse des ventes d’albums) n’a plus les moyens ou l’envie de céder au « fétichisme » autour d’un groupe déjà dépassé, ou dont le second album s’avère une bouse sans nom.

Ecouter et apprécier oui, aduler non. J’ai souvent mis sur le compte du « c’était mieux avant » de vieux con, mon impression diffuse de ne plus m’être enthousiasmé depuis longtemps pour un groupe pop et rock (pourtant mes préférés) comme j’ai pu le faire à l’époque pour les Cure, les Stone Roses, Pavement, Blur, Pulp ou même les Strokes et Bloc Party. Je me demande maintenant dans quelle mesure la « remplaçabilité » d’un groupe par un autre un peu meilleur, un peu différent, n’est pas en train de transformer le rapport à la musique et rendre caduque la notion même d’adhésion de masse pour un groupe populaire en une multiplicité d’adhésion de foule à des groupes de niche.

Un bon groupe de niche

Maintenir le cap de critiques généralistes, mais indé, pour le monsieur tout le monde Pop dans son ensemble (comme les Inrocks ou Magic et R&f dans leur créneau) est à la fois de plus en plus dur à continuer avec pertinence dans une volonté de couvrir TOUT le spectre des albums ou groupes potentiels, mais me semble aussi devenir de moins en moins en phase avec les attentes des lecteurs eux-mêmes

Je me trompe peut-être mais je veux y voir des signes à la fois dans la « démission » de Gérald from ADA, le côté de plus en plus fade rencontré dans ma lecture des Inrocks ou la sensation d’être roulé par les couvertures « groupe du mois » de mon favori Magic. Une hype remplace l’autre et un bon groupe remplace un autre bon groupe sans jamais rencontrer, ou si peu, le fétichisme quasi autiste des concerts de Cure qu’on préparait au khôl ou de Nirvana et Pavement à la chemise de bûcheron.

Un côté grand messe perdue, que je ne vois pas loin de là comme une des conséquences du rôle de filtre perdu par les maisons de disque (je n’ai pas le respect suffisant pour les majors qui me feraient accroire qu’ils triaient le bon grain de l’ivraie et c’est pour ça qu’on adulait en masse), mais comme une conséquence de l’accès à de multiples stimuli, de multiples enregistrements, diluant d’autant nos amours musicaux.

Un côté grand messe qu’on ne trouve plus qu’au sein de niches. Les ados avec les miraculés Indochine ou Tokio Hotel en sont les caricatures, les métalleux avec plein de groupes que je ne parviens plus à écouter au décorum et aux codes super précis… Autant de niches créant leurs icônes, leur habitus (dirait Bourdieu), leurs sociolectes et leurs messies de caste. Autant de niches qui rendent compliqué l’adhésion nécessaire à la vente de magazines tels les Inrocks ou Magic, les forcent à parfois se créer des stars du jour qui favorisent l’envie de lecture.

Des niches qui se créent sur des thématiques musicales, ou sur des personnalités de blogueurs, découvreur. Depuis une paire d’année, je constate que les blogs qui tournent autour d’une identité (et nombre de compères chez benzinemag en font partie), d’un chroniqueur se développent et gagnent un lectorat sans cesse croissant.

Un album mis en avant par Withoutmyhat ou le choix.fr encensé par eux, aura plus de chance de faire un joli carton au sein de sa communauté de lecteurs qui échangent avec ces blogueurs en nom propre, que des critiques régulières d’un maximum d’albums tel que benzine, popnews, ada, et les historiques peuvent le faire. On est passé de l’information globale au besoin de tri. Un tri qui se fait par le style de musique ou via la comparaison avec celui qui sert d’entremetteur.

Un rôle que peuvent se donner certains blogueurs, mais qui sied mal au fonctionnement de certains blogs, et qui peut faire enrager les labels condamnés à poster des des CD à la pelle, avec de moins en moins de garantie de sortir chroniqué (ce qui explique aussi pourquoi ils sont en train massivement de passer à l’envoi de MP3).

Des niches qui imposent aussi certains webzines à marcher ou crever (sous peine de disparaître en pagerank 6), à ne pas oublier les artistes avec notoriété dans chacune des niches (pour crédibiliser le site) et provoquent des démissions somme toutes logiques quand l’activité de veille / découverte se greffe sur des professions, des vies de famille etc. qui requièrent la plus grande partie de nos attentions.

Si le désarroi existe pour les webzines on ose à peine imaginer le bordel dans les labels

CC par Tsuki-chama sur FlickR

Or donc voilà que la niche domine les comportements d’achat éventuel. On le constate en bout de chaîne, quand il s’agit de parler des sorties. On se représente aussi du coup la difficulté pour tout le petit écosystème de la promotion au sein des labels et autre PR qui gravitent dans l’univers.

Il y a de plus en plus d’artistes à promouvoir, dans de plus en plus de niches. Et il n’y a pas encore de facto, d’unité de mesure ni de l’influence, ni du potentiel d’une niche.

J’imagine le RP au moment de sélectionner les 100 chroniqueurs potentiels à qui envoyer une version jolie d’un disque à promouvoir vs la version MP3 du même album ? Comment choisir ? Celui qui fait le plus de lectorat. Comment sélectionner un référent à choyer  pour un type d’artiste à promouvoir. Un magazine qui cartonne au tirage ou un blogueur influent auprès des émo-rockeurs d’ile de France, férus de ska et de punk écolo en provenance de Denver.

Où accorder l’interview ? Qui envoyer en concert ? Où se cachent les leviers qui remplissent les salles et /ou achètent du merchandising et du CD ?

Un casse-tête. Il existe peu, me semble-t-il d’analyse marketing concernant le positionnement de produit dans une niche définie et le retour qu’on peut espérer de micro écosystèmes, comparativement à de larges foules.

Seule reste le doute, la fuite en avant, et les démissions. Le changement de cap de ADA est assurément un témoignage d’un monde qui vient de se terminer.

On attend que se définissent les règles précises du monde à venir.

> Article initialement publié sur le blog d’Emgenius

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Dématérialisation exponentielle http://owni.fr/2009/12/15/dematerialisation-exponentielle/ http://owni.fr/2009/12/15/dematerialisation-exponentielle/#comments Tue, 15 Dec 2009 15:32:17 +0000 Agnès Maillard http://owni.fr/?p=6209

Il y a six mois, j’avais serré la main du conducteur offset qui partait enfin à la retraite. Aujourd’hui, la moitié des machines a disparu, les étagères à papier sont vides, il reste le patron, l’infographiste et la typographe.

ImprimerieIl y a 10 ans, par un de ces étranges concours de circonstances dont on sourit après coup, je m’étais retrouvée propulsée responsable des relations avec la chaîne graphique. En fait, je devais cette pseudopromotion à ma proximité géographique avec l’imprimeur de la feuille de chou de ma boiboite de l’époque, qui comptait bien s’économiser les frais de transport sur le dos de ma quasi défunte 205 junior. Je ne connaissais strictement rien à cet univers et c’est pour cela que je décidais de consacrer une demi-journée à la découverte de ce métier.

Je poussais donc la porte de l’atelier où s’affairait une bonne douzaine de personnes. J’étais immédiatement happée par le fracas des machines qui débitaient les feuilles de papier imprimé comme si leur vie en dépendait. Des machines et des hommes. Enfin, pas mal de femmes, aussi. Entre le façonnage, l’emballage, la mise sous plis, la gestion des commandes, le flashage, toute la chaîne prépresse, ça en faisait, des petites mains qui se coupaient sauvagement sur les revers de papier. L’atelier sentait terriblement bon le solvant, l’encre, l’huile, le métal qui chauffe, et d’autres composés volatils, de nature à nous tricoter des poumons en dentelle de Calais.

Quand on ne sait rien, la moindre des politesses, c’est de ne pas faire semblant du contraire, aussi, j’ai demandé au patron s’il pouvait me faire faire le tour du propriétaire. Même s’il était totalement overbooké (les imprimeurs sont toujours ovebookés, je pense que cela trône en tête des dix commandements du bon imprimeur), le patron se fit un plaisir de me piloter dans son entreprise, de me présenter ses employés, de me montrer ses machines, de m’expliquer les fondements de l’art typographique. J’ai remarqué, à l’usage, que la plupart des gens adorent parler de leur métier. Je parle bien du métier qui n’est pas forcément le travail. Le métier, le bel ouvrage, ce que l’on est censé faire et que l’on s’applique à faire, avec amour, avec patience, avec courage, avec pugnacité, parfois, avec passion, souvent. Demander à quelqu’un de raconter son métier, c’est, le plus souvent, peindre un trait de lumière dans son regard, effacer les rides du lion qui lui barrent le front, dessiner un sourire léger sur ses lèvres. L’imprimeur n’échappait pas à cette règle, constante de ceux qu’une entreprise scélérate ou un encadrement inepte n’a pas définitivement dégoûtés de cette extrême satisfaction que l’humain peut tirer de son savoir-faire et de sa capacité à l’exercer. Il m’a décrit avec précision, avec emportement aussi, ce métier qui était le centre de sa vie depuis tellement longtemps qu’il faisait, à présent, totalement partie de lui. Il était d’autant plus ravi de cette intrusion dans son atelier que j’ai toujours été une auditrice gourmande de ces effusions verbales où les gens livrent tellement plus d’eux-mêmes qu’ils ne peuvent l’imaginer. J’ai découvert l’univers des couleurs, le fameux nuancier Pantone, j’ai appris à apprécier les différentes qualités de papier et à me pâmer dans le velouté sensuel d’un vélin légèrement gratté.

HeidelbergHier, sur le chemin au bled-en-chef, je suis passée devant l’imprimerie. Un énorme semi-remorque en barrait l’entrée et, de ses entrailles exposées à la vue des passants, un éclat de plastique et de métal a accroché mon regard. C’était la dernière machine qui partait, emmaillotée dans une débauche de film plastique comme une mauvaise côtelette à l’étal du supermarché. Quelques jours plus tôt, je l’avais vue à l’œuvre, vaillante, dans l’atelier aux trois quarts vides, en train de débiter des enveloppes au kilomètre. À côté d’elle veillait la typographe, l’air un peu fatigué ou absent. Elle part à la fin du mois. Terminée, lessivée, merci, au revoir et bonne chance. C’est sûr que de la chance, il va lui en falloir. Typographe. Encore un métier mort. On lui a bien proposé de suivre la machine, un peu plus loin, à 50 km. Mais pour quoi faire ? Tenir quelques mois de plus ? Le gros des troupes part vers l’Est, là où les salariés sont toujours moins chers. Encore que les Roumains, qui tenaient le haut du pavé de l’impression à bas coût, il y a encore deux ou trois ans, sont en train de se faire doubler par les Malgaches. Ha, les Malgaches ! Les Malgaches et leur PIB de sous RSAstes ! Les Malgaches et leur misère sordide qui devrait permettre de les essorer quelques bonnes années avant que l’on doive chercher ailleurs. Encore moins cher. Encore plus miséreux.
Là où virevoltaient une douzaine de personnes il y a encore peu, il ne reste plus que quelques machines en instance de départ, des chutes de papier que nulle encre ne fera plus chatoyer, trois personnes un peu perdues, le cul entre deux chaises, déjà dans la perspective d’un très hypothétique reclassement professionnel, un grand silence pesant et la poussière qui, déjà, reprend ses droits.

Nulle nostalgie mal placée dans mon regard ému. Je ne suis pas le Jean-Pierre Pernaut des innombrables métiers sacrifiés à l’autel du progrès capitaliste qui s’essuie les crampons sur la face de ceux qui pensaient le servir. C’est juste que, comme lorsque je parlais du monsieur Antar de mon enfance, je ne peux que raconter l’immonde vacuum productiviste qui avale les gens, toujours plus de gens, et qui ne laisse que du vide derrière lui. Toujours la même question lancinante : où sont recrachés les gens ? Tous ces gens qui disparaissent chaque jour ? J’ai bien une petite idée et je ne la trouve pas plaisante du tout.
Qu’on ne se trompe pas de débat : le progrès technique qui affranchit les hommes du sale boulot pour leur ouvrir des activités plus saines et plus stimulantes ? Je marche à fond pour lui. Des siècles de labeur acharné pour trouver le moyen de bosser moins tout en satisfaisant plus de besoins ? Je signe des deux mains. C’est juste qu’on a un peu oublié le volet sociétal dans l’affaire car, comme le disait la SNCF dans des temps plus humanistes, le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. Au lieu de cela, nul partage avec ceux que la technique et le management inhumain ont dégagés de la sphère laborieuse. Les victimes d’un système stupide qui marche sur la tête doivent expier et se contenter de vivre avec moins que le minimum vital.
Absurdité absolue et intenable, même à court terme.

À la fin du mois, l’imprimerie déménagera dans des locaux plus conformes à son nouveau statut. Il ne restera plus que le patron et l’infographiste. Elle fera la mise en page et il transmettra à l’imprimeur qui propose le meilleur prix. Concurrent direct.
Mais avec un meilleur carnet d’adresses que moi.
Loi de la jungle.
Faut que je change de boulot.
Encore.

  • Ce qui va me manquer le plus, dis-je au patron, c’est la délicieuse odeur de l’encre fraîche.

Il me jette un regard de bête blessée.

  • Et moi ? Est-ce que ça ne va pas me manquer ? Ça fait 45 ans que je respire cette odeur. Je n’ai rien fait d’autre depuis que j’ai 15 ans.

Sa voix déraille quelque peu, ses épaules s’affaissent. Je le regarde s’éloigner rapidement, le cœur en écharpe. Dernier survivant d’un monde en mutation frénétique qui démolit tout sur son passage, y compris les plus belles passions, les plus belles carrières, les plus belles histoires de vie.

Du coup, j’ai sorti mon Pentax de mon sac et comme un archéologue de l’image, j’ai commencé à méthodiquement archiver ce métier d’un temps révolu.

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« Entre colère et espoirs » le livre libre et téléchargeable de Corine Lepage http://owni.fr/2009/09/14/%c2%ab-entre-colere-et-espoirs-%c2%bb-le-livre-libre-et-telechargeable-de-corine-lepage/ http://owni.fr/2009/09/14/%c2%ab-entre-colere-et-espoirs-%c2%bb-le-livre-libre-et-telechargeable-de-corine-lepage/#comments Mon, 14 Sep 2009 17:19:44 +0000 Corinne Lepage http://owni.fr/?p=3608 Cet ouvrage constitue une première. C’est en effet la première fois qu’un politique publie gratuitement par téléchargement et par la voie de l’édition Internet un ouvrage. Ce choix délibéré est en cohérence avec les prises de position de l’auteur sur la loi Hadopi.
« Certaines chroniques peuvent apparaître comme prémonitoires soit dans les analyses, soit dans les solutions qui sont proposées. En réalité, il suffit généralement de poser les bonnes questions pour trouver des solutions les plus appropriées ».

Ce recueil de chroniques sur deux années de montée des crises souligne la modernité de la pensée de Pierre Mendès-France « gouverner, c’est prévoir ». C’est précisément parce que le politique a cessé de prévoir que, d’une part, il a subi l’action de ceux qui prévoyaient et que, d’autre part, il a oublié de préparer le futur.

La relecture de ces chroniques qui peut être ou non chronologique souligne qu’il n’existe aucune fatalité aux crises mais qu’elles sont le résultat de choix délibérés. Dès lors, d’autres choix peuvent être faits pour l’avenir.

> Télécharger gratuitement l’ouvrage

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