OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 100 millions de mineurs http://owni.fr/2011/06/03/100-millions-de-mineurs/ http://owni.fr/2011/06/03/100-millions-de-mineurs/#comments Fri, 03 Jun 2011 08:28:10 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=65260 Les membres du collectif Argos seront présents vendredi 3 juin au festival les nuits photographiques, en accès libre au parc des buttes Chaumont pour une projection en plein air de leur webdocumentaire Cuatro Horas, sur une mine coopérative au Chili. Owni est partenaire des nuits photographiques et vous fera découvrir tout au long du mois de juin, une des oeuvres projetées.

Quelle est l’origine de vos reportages sur les mines ? L’avez-vous conçu comme le projet sur les réfugiés climatiques ?

Guillaume Collanges : Je travaillais sur l’industrie et j’avais fait un reportage sur la fermeture des usines de charbon en 2003. Je viens moi-même du Nord, une région minière. La découverte en 2003 a été un choc. La mine est un univers compliqué : d’un côté, elles ont une très mauvaise image, ont la réputation de détruire l’environnement et les hommes ; d’un autre côté, les mineurs sont extrêmement fiers et regrettaient tous que la mine ferme, malgré la dégradation de leur état de santé. C’est l’amour-haine cet environnement ! En bas, il y a une solidarité qui transgresse les questions sociales, le racisme. Les chantiers sont énormes ! L’économie de la France s’est basée sur le charbon. Les mineurs ont connu une heure de gloire passée à laquelle ils se réfèrent encore. Ils étaient souvent immigrés et très pauvres, mais la mine a servi d’ascenseur social. Leur métier était très difficile mais ils avaient un logement, les salaires ont augmenté, ils ont pu payer des études à leurs enfants. Ces grosses industries ont mauvaise image mais elles ont fait vivre des milliers de personnes.

Sébastien Daycard-Heid : En 2007, Guillaume et moi avons fait un reportage sur la piraterie minière. Ce sujet en Afrique du Sud a été difficile à faire et assez marquant. Il s’agissait de mineurs illégaux qui travaillaient clandestinement dans les mines, y restant parfois plusieurs mois. Ils étaient en compétition avec les entreprises qui se partageaient la même mine, non sans heurts. Deux mondes coexistent : les entreprises minières qui sont là depuis plus de cinquante ans mais dont les retombées économiques sont trop faibles pour la population locale, et la piraterie minière qui se développe et entre en compétition frontale voire armée contre les entreprises et l’État. Au début, les illégaux étaient des Sud-Africains, puis ils ont prospéré et ont commencé à faire venir des clandestins étrangers. On s’est rendu compte qu’il y avait énormément d’illégaux dans les mines à travers le monde et qu’il y avait matière à faire une série transversale.

100 millions de personnes travaillent dans des mines !

Quels seront les prochains sujets ? Comment allez-vous les traiter sur la forme ?

Cédric Faimali : Notre approche de la question est transversale. Nous traitons plusieurs cas différents dans plusieurs pays, avec plusieurs médias : photo et texte, mais aussi vidéo et son de façon systématique. Le but est de constituer une matière première exploitable sous de multiples formes qui permet d’avoir une diffusion multi-support, une vitrine et des revenus pendant le projet. En Colombie, nous avons auto-financé notre reportage parce qu’il lançait la série et était surtout destiné à la presse. L’Afrique du Sud a été produit par GEO et Scientifilms en télé pour ARTE REPORTAGES. Le reportage au Pérou a été vendu à la presse et en webdoc. Le produit fini sera un livre et une exposition. Peut-être un webdoc en suivant un fil conducteur transversal.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Cédric Faimali

Guillaume Collanges : Pour la Lorraine, nous avions fait un webdoc avant l’heure en 2004, un diaporama sonore. Notre premier reportage en Afrique du Sud raconte l’histoire du pays et son fonctionnement actuel : les mineurs sont un peu mieux payés mais les accidents sont très courant : les migrants sont en tête de taille, le poste le plus dangereux.

Sébastien Daycard-Heid : Les prochains reportages seront sur les communautés de mineurs en Ukraine et aux États-Unis. Aux États-Unis les mineurs américains reprennent la tradition de recherche de l’or. Nous partirons sur les traces d’une longue littérature de reportage écrite par Jack London, Blaise Cendrars ou Cizia Zykë dans un autre genre. Côté photo, la référence est bien sûr Sebastiao Salgado qui a travaillé sur la Serra Pelada dans les années 1980. Ce qui nous intéresse, c’est de revisiter cette thématique 30 ans ou plus après, avec les changements liés à la mondialisation.

La filière minière raconte donc une histoire de la mondialisation ?

Sébastien Daycard-Heid : Les mines ont engendré des villes, du commerce et San Francisco illustre bien que du développement peut naitre de cela. Aujourd’hui, la plupart des villes minières sont des villes fantômes en puissance. Les mines sont des trappes à pauvreté. Ce ne sont plus des paysans comme à la Serra Pelada, mais parfois des médecins, des fonctionnaires, ceux qui ne trouvent pas leur place dans les villes. L’intérêt de l’approche transversale, contrairement à une approche plus classique qui consiste à suivre une filière de l’extraction à la consommation, est de montrer une condition humaine partagée et un problème lié au développement minier en général. Il ne concerne pas que quelques mineurs isolés mais des millions de personnes.

En creux apparaissent les politiques de développement des États et le rôle du consommateur.

L’exemple du panneau solaire est assez significatif : c’est un produit lié au développement durable, mais sa production nécessite du lithium dont l’origine est parfois très incertaine.

Sébastien Daycard-Heid : Le problème n’est pas le métal en lui-même mais les modes de productions et la logique de marché. On n’est pas sorti de la logique uniquement mercantile des conquistadors : captation de la ressource, concentration et vente. À aucun moment, on ne s’interroge sur l’origine du métal. Les métaux sont au cœur du fonctionnement de la bourse qui s’est bâtie dessus et donc par ricochet du système économique mondial. En revanche, les logiques de marché peuvent changer pour obliger les compagnies minières à reverser des revenus aux populations locales par exemple. Les progrès techniques permettent aussi d’améliorer la problématique environnementale. Après le mercure et le cyanure, la technique traditionnelle de la gravitation revient en utilisant des machines, donc en restant dans un processus traditionnel.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Guillaume Collanges

Quels sont les modèles de production alternatifs pour les mines ?

Cédric Faimali : Le sujet des mines n’est absolument pas manichéen, il faut absolument se débarrasser de ce préjugé pour le comprendre. D’où l’intérêt de travailler en série pour souligner les nuances. A Cuatro Horas, les mineurs illégaux ont développé le travail en coopérative et se sont battus pour racheter leur mine. Mais l’individualisme est en train de reprendre le dessus avec le plafonnement économique de la mine, aucune filière de marché intègre cet or.

Sébastien Daycard-Heid : Le label or équitable certifié Max Havelaar existe en Grande-Bretagne depuis le 14 février. On est au début de la reconnaissance de ce label. Pour l’or, il faut assurer la traçabilité des métaux et l’existence d’une filière séparée. De plus en plus de joailliers entrent en contact avec des affineurs qui cherchent eux-mêmes des filières de production équitables. Max Havelaar a justement cette fonction d’expertise de certification. En France, la situation est très différente : le marché n’est pas composé d’artisans mais d’industriels du luxe. Même si la filière est embryonnaire, l’idée de traçabilité rentre dans les habitudes y compris pour l’or.

Une filière équitable pour l’or pourrait émerger ?

Guillaume Collanges : Pour la filière équitable, le prix très élevé de l’or est un avantage. De petites productions ou coopératives peuvent devenir des projets pilotes. A contrario, si une filière équitable de l’or apparaît, les interrogations sur les filières non-équitables vont se multiplier : est-ce de l’or sale ? Pas forcément, bien sûr, mais la question sera posée.

Cédric Faimali : Le commerce équitable enclenche une dynamique vertueuse même sans représenter 70 ou 80 % du marché. De toute façon, il suppose un lien direct entre producteur et consommateur ce qui paraît difficile à réaliser pour le cuivre.

Quelles sont les conditions de travail des mineurs illégaux ?

Sébastien Daycard-Heid : La clandestinité entraîne les plus mauvaises pratiques, même pour les mineurs qui arrivent avec les meilleures intentions. Ils peuvent mourir d’un incendie au fond de la mine, d’une rixe parce qu’ils ont trop picolé. Quand les mineurs remontent après quelques semaines ou même une nuit, ils dépensent une grande partie de leur salaire en alcool ou autre. En Afrique du Sud, tous les illégaux étaient jeunes. Les chefs avaient 30-35 ans parce qu’ils ont besoin d’avoir une excellente condition physique. Pendant une semaine au fond, ils ne mangent que des barres énergisantes.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Cédric Faimali

Des ONG font-elles de la prévention ?

Sébastien Daycard-Heid : Les ONG sont très peu présentes dans les régions minières. Elles pourraient pourtant aider réformer les modes de production en faisant de la prévention sur les risques sanitaires et environnementaux. Le sous-sol appartient aux Etats, contrairement aux terres agricoles qui appartiennent aux cultivateurs. Les activités des ONG, surtout internationales, sont trop perçues comme des ingérences alors qu’il y a urgence. Les ONG locales ont peu de moyens. La réglementation internationale en est à ses balbutiements après le scandale des diamants du sang. En juillet dernier, la loi Dodd-Frank sur la finance votée aux États-Unis ont contraint les entreprises américaines côtées en bourse à certifier la provenance des métaux qu’elles utilisent. L’objectif est de mettre fin à la guerre au Congo qui se nourrit des ressources minières.

Cédric Faimali : L’or sert aussi à blanchir l’argent de la drogue. En Colombie notamment, certains investisseurs achètent des mines au-dessus de leur valeur. En plus, l’or est déjà une monnaie : échangeable et substituable. On peut facilement payer des armes, financer des milices, corrompre des fonctionnaires. C’est une économie grise, informelle. Idem avec le coltan par exemple. Améliorer la traçabilité permet de sortir de ces logiques.


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Photographies du Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Guillaume Collanges et Cédric Faimali

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Regards sur une décennie de mal-logement http://owni.fr/2011/04/30/argos-regards-sur-une-decennie-de-mal-logement/ http://owni.fr/2011/04/30/argos-regards-sur-une-decennie-de-mal-logement/#comments Sat, 30 Apr 2011 16:00:56 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=58756 Au début des années 2000, plusieurs photographes du collectif Argos ont réalisé des reportages sur la question du mal-logement et des personnes sans-abri. Ils ont suivi, pendant plusieurs mois, le quotidien de familles vivant dans un bois à côté d’une cité HLM en Seine-et-Marne, fait le tour des hôtels meublés du 20ème arrondissement de Paris, rencontré des hommes vivant sur une bretelle d’accès du périphérique à Porte Maillot ou suivi le parcours d’un homme, de la rue à la réinsertion.

Dix ans après, les sans-abris étaient dans l’agenda de l’Union européenne qui faisait de l’année 2010, celle de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. L’objectif : trouver des positions communes et développer des politiques globales et efficaces dans les pays de l’Union.
La fin du sans-abrisme, une utopie ? Le jury de la conférence de consensus sur le sans-abrisme organisée à Bruxelles en décembre dernier répondait, avec optimisme et détermination :

L’absence de chez-soi constitue une injustice grave et une violation des droits fondamentaux de l’homme à laquelle on peut et on doit mettre fin. Le jury considère ainsi que l’absence de chez-soi peut être progressivement réduite et que l’on peut, en fin de compte, y mettre un terme.

Le Parlement lui emboîtait le pas avec cette déclaration du 16 décembre 2010 sur la stratégie de l’UE pour les personnes sans-abri, qui demande :

  • au Conseil de s’engager avant la fin de l’année 2010 à régler la question des personnes sans-abri d’ici 2015,
  • invite la Commission (…) à aider les États membres à élaborer des stratégies nationales efficaces
  • demande à EUROSTAT de recueillir des données sur les personnes sans-abri.

Pour le moment, c’est la France qui serait championne européenne du mal logement, avec 52 personnes sans domicile fixe pour 100.000 habitants.

Nous avons laissé la parole aux photographes du collectif Argos qui nous racontent, chacun, l’histoire de leur reportage et de leurs rencontres.

Ces familles qui n’ont plus droit de cité

Par Eléonore Henry de Frahan

Apres l'école Morgane, 8 ans, rentre chez elle. Chez elle, ce sont les quatre caravanes du haut, dans ce petit bois coincé entre la nationale 105 et le château d'eau où vivent deux familles et un homme seul. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

C’est en 2000 que je découvre à la lisière des villes, des familles françaises qui survivent dans des habitats de fortune sans électricité ni eau courante. Pour assurer une vie décente à leurs enfants, les parents cumulent les petits boulots. Je m’y rendais en RER et à vélo et je développais mes films moi-même.

J’ai rencontré les familles petit à petit avec l’aide du Dr Moriau de Médecins du monde qui m’a introduit. Madeleine est salariée comme femme de ménage. Pourtant, elle vit en caravane, avec son mari Gérard et ses deux filles, de 8 et 10 ans, juste en face de la barre HLM de Seine-et-Marne d’où ils ont été expulsés.

Ils n’ont ni eau ni électricité. Ils se servent d’un poêle à bois pour se chauffer et d’un groupe électrogène pour la télé. Tentant comme les autres parents du campement d’assurer une vie décente à leurs enfants. Notre société moderne lancée dans une course effrénée au profit laisse derrière elle une part de plus en plus importante de la population.

Il y a huit ans, Gérard a perdu son emploi. Après plusieurs mois sans revenus, la petite famille est venue camper dans ce bois. Au fil des ans, ils ont acquis plusieurs caravanes et les ont retapées. Chacune d'elle est une pièce de la maison. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

J’ai réalisé ce reportage sans commande. Je voulais tout simplement sensibiliser les gens à ce problème de société. Des familles n’ont plus accès aux biens de consommation qu’on leur propose au quotidien, à un minimum de confort, ou tout simplement à un logement et à une vie décente. Cette précarité gagne du terrain et déferle aujourd’hui sur le monde du travail (missions d’intérims, travail à temps partiel). Avoir un emploi ne garantit plus l’intégration ni la protection sociale.

Patrick monte un vélo pour son fils avec les matériaux qu'il a récupéré. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

Je suis retournée les voir régulièrement et le travail s’est échelonné sur un an et demi. J’ai continué a leur rendre visite ponctuellement pendant un temps, quand je le pouvais. Dernièrement je voulais justement avoir de leurs nouvelles mais ils ne sont plus sur le terrain et je ne sais plus comment les joindre.

Le reportage a été publié sur 8 pages dans VSD, il a été expose à différents endroits comme le centre culturel de Rezé, de Woluwe St. Lambert a Bruxelles, le festival de Biarritz sur la violence moderne, et il a accompagné les journées du livre avec l’association ATD quart monde.

Matériel : un Nikon f3 et des films Tri X n/b

Hôtels meublés

Par Guillaume Collanges

J'ai trouvé un appartement à 3800 francs mais je ne peux pas. Je touche 4000 francs par mois. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Le reportage sur les hôtels meublés s’est étalé sur six mois, en 2000. J’habitais le 20ème et c’est un arrondissement ou il y en a pas mal. Plusieurs fois je suis passé devant sans y prêter attention. Un jour j’ai lu une plaque “Hotel meublé – chambre au mois” et je me suis demandé qui vivait ici. J’ai fait du porte à porte, essayant de rentrer dans les établissements mais beaucoup d’entre eux n’aiment pas les curieux. Les marchands de sommeil préfèrent la discrétion.

A l’époque la moyenne était de 3500 francs (env 500€) pour une chambre avec lavabo. C’était le prix d’un studio sur le marché privé. Quand je trouvais un endroit accessible je faisais tous les étages en expliquant bien aux gens que je faisais un reportage. Peu voulaient répondre, surtout les femmes qui sont donc sous représentées dans le reportage. Elles se méfiaient d’un homme inconnu, même s’il se présentait comme un journaliste, d’autant qu’à l’époque je n’avais pas la carte de presse.

Je suis ici depuis trois mois. J'ai 37 ans, j'ai loué un appartement jusqu'à 33 ans, depuis, je vis en meublé. Je suis analyste programmeur, je travaille a Paris, parfois, en province. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

L’ambiance dans ces hôtels est souvent triste, voir violente quand il y a trop d’alcool. Des situations de misère et de précarité qui s’installent dans la durée. Un seul avait une ambiance quasi “familiale”, je n’avais d’ailleurs pas eu le droit d’aller voir les deux premiers étages réservés aux habitués de longue date. Du 3ème au 5ème c’était autorisé, et pourtant une dame était là depuis dix ans !

Cela fait 10 ans que je suis ici, et mon fils onze. J

Toutes ces rencontres m’ont beaucoup marqué , certaines n’ont jamais été diffusées car les personnes n’ont pas voulu signer l’autorisation de diffusion. Mais je retiendrai toujours cette conclusion qu’avait eu une des rares femmes rencontrées, ancienne institutrice : “les problèmes, ça rend médiocre.”

Matériel : appareil Nikon fm, 35mm f2 et film Kodak Supra 400

Vie périphérique

Par Cédric Faimali

Thierry dans sa cabane au bord du périphérique parisien. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

C’était en 2003, j’avais repéré les tentes de Thierry et Diego sur mon chemin en passant par la Porte Maillot. Quand je suis arrivé sur leur campement la première fois, Diego est sorti avec une barre de fer et m’a dit :

“Qu’est-ce que tu viens chercher ici ? Il n’y a rien à voler !”
J’ai répondu : “Je viens en ami”
Et il m’a dit : “Il n’y a pas d’amis ici !”

J’ai quand même réussi à amorcer la discussion et à lui expliquer ce que je faisais là. Je me rappellerai toujours de cette phrase : “Il n’y a pas d’amis ici”. La peur de se faire attaquer et dépouiller est constante. Diego, ancien légionnaire de 48 ans était installé là depuis 1999 avec son chat Gavroche, et venait de se faire agresser par des jeunes quand je l’ai rencontré. Il était tailladé au couteau.

Diego s'approvisionne en eau potable grâce aux bouches d'incendies des pompiers. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Diego et Thierry étaient un peu comme des Robinson Crusoë, ils disaient : “la société veut pas de nous, et nous, on veut pas d’elle. On n’étale pas notre misère en pleine rue, la mendicité fait chier tout le monde.” Ils se débrouillaient pour trouver de la nourriture, subvenir à leurs besoins. Ils en étaient fiers. Ils avaient la télé avec une batterie, ils coupaient du bois pour se chauffer. Ça ne les intéressait pas de toucher le RMI ou la CMU quand je les ai rencontré.

Le linge de Diego et Thierry sèche le long du boulevard périphérique. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Le reportage a duré tout un hiver et j’ai continué au printemps et à l’été suivant. Parfois je ne faisais pas de photos, j’allais discuter, j’amenais des batteries chargées, des cigarettes, des vêtements ou des couvertures. C’est très long comme reportage, c’est lourd psychologiquement, les gens sont parfois sur la défensive, ils ne comprennent pas toujours notre démarche, refusent de se faire prendre en photos et c’est normal. C’est leur vie. Il faut s’apprivoiser et aussi que la confiance s’installe.

Thierry, je l’ai croisé par hasard, en 2006, au bureau de Poste près de chez moi. Il avait eu des problèmes de dents, il s’était fait soigner et m’avait dit qu’il était hébergé. Puis leur campement a brûlé en 2007, j’étais allé voir les pompiers qui en étaient au début de l’enquête. Il privilégiaient l’accident.

Thierry dort malgré le bruit incessant des voitures. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Je vais reprendre ce sujet avec des personnes qui vivent dans les tunnels de La Défense, un autre endroit où on est pas censé vivre, dans les sous-sols du pôle financier. Aujourd’hui, leur campement a disparu.

Matériel : appareil panoramique hasselblad Xpan, film Porta 400 NC

Gilles, de la rue à la réinsertion

Par Jéromine Derigny

Gilles, SDF de 37 ans, fait sa vie entre Montreuil et Vincennes. Une grande partie de la journée, Gilles fait la manche, toujours au même endroit. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

J’ai réalisé ce sujet en commande pour le Pèlerin, en janvier 2007 où j’ai suivi pendant plusieurs jours le quotidien de Gilles, rencontré au Samu social.

Après la publication, Gilles, ayant déjà passé plusieurs années à la rue, a semblé retrouver un regain d’énergie pour continuer à se battre, et trouver un centre d’hébergement. Puis du travail en réinsertion. J’ai décidé de garder le contact avec lui puisqu’il avait un portable, ça n’était pas trop compliqué. C’est ainsi que pendant un an, j’ai continué à le retrouver de temps à autres, dans son parcours de réinsertion à l’association Neptune, basée à Montreuil.

Gilles, sdf depuis plusieurs années et jusqu'en 2007, est maintenant en réinsertion, tant sur le plan du travail que du logement. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

Une deuxième publication dans le Pèlerin a eu lieu un an après la première. On ne se refait pas si vite d’années de rue, et tout n’a pas été simple pour Gilles, une année ne suffit bien sûr pas pour se réinsérer. J’ai continué à garder contact avec lui, mais il est parti en province, chez Emmaüs. Puis petit à petit j’ai perdu sa trace, les coups de fil s’espaçant… de mon fait plutôt.

Gilles a organisé un tournoi de pétanque, ou se mélangent habitants du foyers, et personnes du quartier. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

Je serais curieuse de savoir où il en est actuellement, je lui souhaite bien entendu d’avoir encore progressé dans son parcours…

Peut-être que lui ou une de ses connaissances sera lecteur d’OWNI !?

Matériel : Nikon D200 24mm (35mm) f2.8

48 rue du faubourg Poissonnière

Par Guillaume Collanges

Au 48 rue du Faubourg Poissonnière, les familles ont campé plus de deux mois dehors en attendant le relogement. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Au cours du reportage sur les meublés en 2000, je suis rentré en contact avec le DAL. Je voulais suivre également les mal logés qui squattent ces immeubles innocupés de Paris. Celui ci appartenait à une compagnie d’assurance italienne et était vide depuis plusieurs années quand les familles sont rentrées dedans.

C’était insalubre, les rats envahissaient la cour la nuit mais certains logements étaient assez grands. Les gens étaient plutôt “bien ici” pour la plupart. Mais un immeuble pas entretenu se délabre et deux plafonds s’étaient affaissés provoquant l’expulsion manu militari de deux familles….. vers des hôtels meublés comme solution provisoire. Bien sûr.

Dialika retrouvera un logement dans Paris. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

La plupart des adultes travaillaient et avaient leurs papiers, et étaient en attente de logement social depuis des années…. comme beaucoup trop.
J’ai passé quinze jours avec eux sous la tente, les gens y dormaient à tour de rôle. C’est fatiguant, la rue est bruyante et le réveil est à 5h avec le premier camion poubelle de la ville. Les gens ont tous été relogés grâce à l’action du DAL.

Un été à Paris, au 48 rue du faubourg poissonnière. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Matériel : Nikon F90, 35mm f2, et film Supra 400


Crédits photos : © Collectif Argos/Picture Tank Tous droits réservés
Retrouvez les cinq reportages dans notre visionneuse /-)

Le collectif Argos fête ses 10 ans. Les rédacteurs et photographes vous invitent au vernissage de leur exposition le 11 mai à 18h00 à l’Espace Confluences à Paris.

Téléchargez le pdf.


L’intégralité des reportages est sur le site du collectif Argos :
Jérômine Derigny : Gilles de la rue à la réinsertion (2007 et 2009)
Guillaume Collanges : 48 bd poissonnière (2000) et Hôtels meublés (2000)
Cédric Faimali : Vie périphérique (2003)
Éléonore de Frahan : Ces familles qui n’ont plus droit de cité (2000)

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Argos 10 ans au long cours http://owni.fr/2011/03/22/argos-fete-ses-10-ans/ http://owni.fr/2011/03/22/argos-fete-ses-10-ans/#comments Tue, 22 Mar 2011 11:30:32 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=52567 Comment est né le collectif Argos ?

Cédric Faimali : J’avais en tête l’idée d’un collectif depuis 1993. À l’époque, j’ignorais que le Bar Floréal et Tendance Floue existaient. J’étais étudiant. Parfois je suivais les manifestations et j’essayais de vendre mes photos. 200 frs, c’était pas grand chose. Un ami faisait une école de photo et l’établissement leur avait prêté un local. J’avais adoré cette idée d’avoir un bureau, de pouvoir échanger et collaborer avec d’autres photographes plutôt que d’être seul dans mon coin, d’appeler les rédactions, d’avoir un numéro de contact…

Dans les années qui ont suivi, le nombre de collectifs a augmenté. En 1999, j’ai monté mon propre collectif avec deux autres photographes, Côté Cour. Il n’a duré que quelques semaines, mais je voulais poursuivre sur cette voie. J’ai contacté Guillaume Collanges qui était déjà une connaissance. Il était d’accord et en a parlé autour de lui. Hélène était intéressée mais elle voulait travailler avec des rédacteurs. Tous les deux ont été intégrés dès le début. Nous étions cinq assez rapidement.

Hélène David : On avait envie de faire un travail documentaire sur des problématiques sociales et environnementales. Parfois, les photographies ne suffisent pas. Pour les réfugiés climatiques par exemple, le texte apportait des informations utiles à la compréhension.

Aude Raux : Au niveau du fonctionnement du collectif, chaque mardi matin nous nous réunissons pour régler les affaires courantes. Et tous les ans, nous faisons une colo qui nous permet d’être ensemble pendant trois jours. C’est l’occasion de faire le point, de prendre le temps de scruter l’horizon et de développer des projets sur les années à venir. On compare aussi comment on arrive à vivre de la presse et globalement nous remarquons que nos carrières évoluent mais que nos salaires baissent.

Le prix de la liberté est cher payé par rapport à la sécurité financière.

Comment définiriez-vous le collectif Argos ? Quelles sont ses valeurs ?

Cédric Faimali : En quelques mots : l’humain avant tout, l’homme dans son environnement naturel et social. Les réfugiés climatiques ne parlent pas de l’environnement, mais des hommes qui souffrent à cause du changement climatique. Ce sujet a nécessité quatre ans de réalisation. Il n’est entré dans l’actualité qu’avec la campagne électorale de 2007. Tout le monde a commencé à parler du changement climatique. Notre reportage était prêt. On était dans le timing médiatique, personne n’y avait pensé avant.

Sébastien Daycard-Heid : Les sujets au long cours font partie de l’identité d’Argos. On a une approche documentaire éloignée de l’actualité. Nos sujets auront peut-être une actualité après. Nous les traitons avant, en amont. Notre but est de donner à comprendre. L’approche documentaire redonne du sens et du contexte. Mais c’est un travail de longue haleine. Ce travail n’est pas valorisé dans les journaux qui traitent l’actualité mais c’est le cœur de notre activité.

Quels sont les avantages d’un collectif ?

Cédric Faimali : Au début, les rédactions ne se souvenaient pas toujours de nous individuellement. Comme on travaille sur des sujets longs, on ne voyait pas les rédactions très régulièrement. On les rappelait après plusieurs mois. Mais, petit à petit le nom du collectif s’est imposé. Même sans nous connaître en personne, ils avaient entendu parler du collectif Argos.

Sébastien Daycard-Heid : L’intérêt du collectif est là : on a un espace de travail en commun, on peut échanger. Un collectif, c’est aussi un bel outil pour monter des projets. Argos est une association loi 1901 et peut donc recevoir des subventions publiques. Le collectif n’a pas été pensé dans une logique carriériste. Vu la précarité des métiers de journaliste et de rédacteur en ce moment, on a tout intérêt à se regrouper et à travailler ensemble pour avoir une visibilité plus forte.

Cédric Faimali : Dès le début, on a eu envie de faire des sujets tous ensemble. On ne faisait pas que partager des bureaux. Cela nous donne aussi une force de frappe plus importante. Quand je rentre de reportage et que je le présente à une rédaction, j’évoque aussi le travail des autres membres d’Argos.

Chacun devient le commercial de l’autre. On gagne tous en visibilité. Ce qui profite au collectif profite à chacun individuellement.

Est-ce que les propositions viennent plus des rédacteurs ou des photographes ? Comment naissent les sujets en général ?

Cédric Faimali : Le sujet sur les mines qu’on vient de réaliser, a été proposé par Sébastien. Au départ, il voulait travailler avec Guillaume qui connaît bien ces sujets. Après, il est aussi venu vers moi, j’avais déjà traité le monde du travail sous un angle différent de celui de Guillaume. Tous les sujets n’intéressent pas tout le monde. Nous faisons nos choix selon les sensibilités de chacun.

Sébastien Daycard-Heid : Sur un projet nous avons toujours une personne au centre du sujet qui le lance et en assure le suivi. Le rédacteur est souvent plus à même d’écrire la présentation. En travaillant à plusieurs, un photographe, un rédacteur, et parfois un graphiste, on a aussi accès à plus de supports. Un photographe peut travailler seul pour en sortir un portfolio. En tant que rédacteur, j’ai davantage besoin du photographe pour faire passer le message et diffuser mon travail. La photo passe sur le web, dans les magazines, les livres, dans le journal.

La photo, c’est l’image caméléon. À force de travailler avec les photographes, je suis devenu mordu. C’est une forme de réflexion supplémentaire dans notre métier. Il faut penser les sujets en terme de texte et d’image.

Le photographe développe-t-il sa propre narration ?

Cédric Faimali : Au début, on ne voulait pas s’associer avec des rédacteurs uniquement pour qu’ils écrivent les synopsis ou les légendes. Au contraire ! Chacun apporte une information. Le texte donne une information, la photo aussi. Une image, c’est une phrase. La photo ne colle donc pas forcément exactement au texte du rédacteur et vice-versa.

Sébastien Daycard-Heid : Chaque sujet a un rapport à l’autre et tous se complètent. À l’intérieur de chaque sujet, chacun est libre de le traiter différemment en fonction de sa sensibilité. La manière de construire un reportage écrit peut s’appliquer à n’importe quel autre support. Les ingrédients, la construction sont les mêmes.

Pendant le reportage, vous travaillez ensemble ?

Sébastien Daycard-Heid : Ça dépend du média. En presse écrite et en magazine, on nous demande de travailler séparément parce que chacun doit développer son regard. En web, il faut qu’on soit quasiment tout le temps ensemble : si une interview est très intéressante et qu’il y a un moment à saisir, il faut que le photographe soit là pour la filmer. Travailler main dans la main est indispensable pour le web.

Cédric Faimali : Au départ, on planifie la narration. On détermine ce qu’on veut en vidéo, ce qu’on veut en photo. On peut décliner des reportages presse sur le web comme ça. Je sais à l’avance comment je ferai mon montage une fois sur place. Maintenant que les appareils photo permettent de faire de la vidéo, on peut facilement passer d’un support à un autre.

Sébastien Daycard-Heid : Quand on fait de la vidéo, on est obligé d’être tout le temps ensemble. La prise de son sur notre caméra (Canon 5D II, un réflex numérique) est trop mauvaise pour être exploitée en l’état. Le rédacteur devient donc un preneur de son.

J’ai découvert ce métier et j’aime beaucoup. C’est comme chasser des papillons. À l’origine, j’utilisais un dictaphone pour m’aider à la prise de note, et c’est devenu un pan entier de mon activité. Je le fais maintenant systématiquement.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans l’actualité depuis 10 ans ?

Hélène David : C’est difficile de parler au nom de tout le monde, c’est quelque chose de très personnel, mais collectivement je pense qu’on sera d’accord pour dire que c’est l’élection de Le Pen au 1er tour de la présidentielle en 2002. C’était d’ailleurs notre premier projet collectif. Nous avions commencé en amont à travailler sur la présidentielle.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de vos métiers ces dernières années, et quelles sont les perspectives d’avenir ?

Aude Raux : Nos métiers se sont diversifiés. Il faut suivre un sujet très en amont et jusqu’au bout. Chercher des fonds et monter les dossiers de financement, faire la présentation du projet, s’occuper des expositions, de l’édition, etc. Au début, on se concentrait sur la presse. Mais on travaille maintenant sur des supports de plus en plus nombreux et différents.

Pour les réfugiés climatiques par exemple, nous avons pris en charge l’édition de grandes bâches pour des expositions.

Il est de plus en plus difficile de suivre un sujet dans la durée dans la tradition du journalisme documentaire. Nous n’avons plus les moyens de l’enquête. Or la notion de durée est importante. C’est elle qui fait la différence avec les personnes qui font l’objet du reportage.

Quand nous avons travaillé sur le projet Qui sème l’espoir en banlieue avec Jérômine [Derigny] nous nous sommes rendus compte que les journalistes avaient mauvaise réputation. Il faut du temps pour gagner la confiance des gens et le fait d’être présent pendant deux ans sur le terrain a été déterminant.

Guillaume Collanges : Le passage de l’argentique au numérique a tout changé. Il y a dix ans, peu d’entre nous avaient des appareils photos numériques, qui n’étaient d’ailleurs pas bons et très chers. Aujourd’hui, on bosse tous en numérique. De même, l’entrée de la vidéo chez les photographes est très importante et de plus en plus de sujets multimédias en contiennent.

Aude Raux : Au départ du collectif en 2001, nous étions juste rédacteurs ou juste photographes. La diversification est venue au milieu des années 2000 avec un nouveau schéma économique pour la presse.

Le journaliste est maintenant multi-casquette, à la fois chargé de projet et de diffusion. Il faut travailler en multi-support car la presse écrite seule ne suffit plus, elle ne diffuse plus de longues enquêtes.

Nous sommes dans un système économique dans lequel on s’essouffle à s’éparpiller autant. Je fais beaucoup de corporate pour payer les factures. Je dois aligner les feuillets pour vivre. Après 15 ans de boulot tu as envie de passer à autre chose. L’idéal serait de ne vivre que de la presse et ne pas être obligé de faire du corporate ou alors du “corporate intelligent” dans le sens où nous travaillerions avec des ONG qui ont les mêmes valeurs que nous.

Guillaume Collanges : Chez Argos nous sommes déjà trois photographes en formation vidéo. La mutation des boîtiers photographiques a ouvert une porte aux photographes. Nous aussi nous avons évolué. Le principal avantage de ces nouveaux outils c’est le rapport photographique à l’image : nous pouvons jouer sur la profondeur de champ comme dans une image-cinéma alors que l’image-vidéo de base ne le permet pas : tout est lisse et net.

Il faut continuer dans la lignée de ce qu’on fait depuis quelques années. Se diversifier et faire du multimédia, de la vidéo, nos appareils photos nous le permettent aujourd’hui. C’est aussi une réelle valeur ajoutée de pouvoir développer des projets sur plusieurs plateformes. Mais c’est bien également de travailler avec des preneurs de son, des webmasters, des réalisateurs. En tant que photographe, on ne peut pas tout faire tout seul et bien.

Quelle place occupe le multimédia dans votre production ?

Guillaume Collanges : Nous aimerions qu’il prenne une plus grande part à l’avenir. Dès 1999, nous avions fait un premier montage photos et son pour le reportage sur les Établissements Thibault : la fin d’une usine. J’avais travaillé à cette occasion avec un journaliste de Radio France, Sébastien Laugénie. Et dès le début des années 2000, nous avons travaillé avec des preneurs de son de l’association le Chant des grenouilles bleues, notamment sur les chaussures Germaine et la fermeture des mines de Lorraine.

A l’époque il existait peu d’espaces de diffusion pour ce genre d’objet hybride. Mais cela s’est accéléré avec le passage au numérique. Aujourd’hui j’aimerais bien remonter en multimédia mes reportages sur le charbon en Lorraine. J’ai le sentiment que la presse devient une vitrine : pour faire court, on monte un book presse qui nous rend crédibles auprès d’autres acteurs, ce qui nous permet de décrocher une mission “corporate” par exemple.

Les espaces reportages se réduisent considérablement dans les magazines. De plus en plus nous devons penser en terme de multimédia et de multiplateformes.

Et le web, vous pensez que ça peut-être une solution ?

Guillaume Collanges : De manière générale nous sommes assez dubitatifs sur l’économie du Net. Est-ce que c’est rentable? Il faut être concret : comment financer les enquêtes, les reportages, les documentaires. Ce n’est pas très poétique, mais la presse décline lentement et sûrement depuis longtemps.
Comment inverser cette tendance ? On nous dit que les webdocs font beaucoup d’audience, mais personne ne donne de chiffre précis. Alors qu’avec cette diffusion, on peut précisément savoir combien de personnes, combien de temps, quelle parcours dans la navigation on fait les internautes.

Ce qui est clair, c’est que nous ne pouvons plus, depuis un bon moment déjà, nous contenter de la presse et du documentaire pour vivre, même si c’est ce que nous souhaitons le plus, nous devons faire du “corporate”. Nous cherchons donc à développer ces différents modes de diffusion : multimédia, livre, expos… les piges de la presse papier ne cessent de baisser. Pour réaliser nos projet, nous avons déjà eu des subventions publiques, notament de l’ADEME pour les Réfugiés Climatiques” et il est vital de diversifier ses financements. La plupart des webdocs réalisés récemment l’ont été avec le soutient du CNC ou de la SCAM (Société civile des auteurs multimedia) voire de fondations privées.

Aude Raux : Nous avons très vite fait le choix d’avoir un site Internet et des blogs liés à des projets spécifiques comme pour les réfugiés climatiques, les mines (A life like mine) ou Gueule d’Hexagone. J’aime beaucoup écrire, et je suis peut-être une dinosaure mais le web-documentaire n’est pas une forme qui m’attire. J’ai surtout découvert l’interactivité extraordinaire d’Internet à l’occasion de notre projet Gueule d’Hexagone et du blog associé. Avec Jéromine, nous sommes restées plusieurs jours dans un village du Sud du Finistère où nous tenions le blog à jour pendant les reportages. Tous les jours, on allait petit-déjeuner au café des sports et au bout d’un moment, les autres clients nous reconnaissaient et nous interpelaient : “Ah aujourd’hui vous allez voir untel ou untel”.

Ils suivaient notre reportage sur notre blog. Ce n’était plus virtuel !

Sébastien Daycard-Heid : J’ai été obligé de m’y intéresser en travaillant sur les webdocs. Mais ils fonctionnent essentiellement sur des subventions. Le CNC qui dépend du Ministère de la Culture prend les risques financiers au début. Cette économie est entièrement artificielle. Le webdoc est passionnant sur le fond et la forme, mais le modèle économique n’existe pas encore. Les boites de production en webdoc sont financées par le ministère de la Culture. Il n’y a pas de financement privé de fondations comme aux États-Unis.

Les milliardaires philanthropes français investissent dans les médias, pas dans le contenu. Propublica, le site américain qui a gagné le prix Pulitzer l’année dernière, est financé par un couple de milliardaires philanthropes. Ils financent du contenu, des enquêtes. Cette logique me paraît particulièrement intéressante. Plus que le crowdfunding (production communautaire) auquel je ne crois pas du tout.

Il n’y a jamais eu autant de médias. Pour nous, producteurs de contenus, il n’y a jamais eu autant de possibilité de diffusion qu’aujourd’hui. Le financement de la prise de risque initiale reste le problème principal.

10 ans, 10 journalistes: Aude Raux et Sébastien Daycard-Heid sont rédacteurs. Héléne David, Cédric Faimali et Guillaume Collanges sont photographes. Les autres membres sont : Guy-Pierre Chomette (r), Donatien Garnier (r), Eléonore Henry de Frahan (ph), Jéromine Derigny (ph), Laurent Weyl (ph).

À l’occasion de ses 10 ans, OWNI suivra régulièrement le collectif Argos tout au long de l’année 2011. Stay tuned /-)

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Crédits photos: ©Collectif Argos/Picture Tank

Jéromine Derigny, Bensmim, vol à la source

Laurent Weyl, Eau : source de vie source de conflit. Le cas israélo-palestinien et La mer d’Aral

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