OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Bactéries du futur [1/3] http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/ http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/#comments Wed, 21 Mar 2012 10:57:23 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=102645

A l’heure actuelle la demande en énergie croît plus vite que l’offre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, à l’horizon 2030 les besoins de la planète seront difficiles à satisfaire, tous types d’énergies confondus. Il faudra beaucoup de créativité pour satisfaire la demande.

Vincent Schachter, directeur de la recherche et du développement pour les énergies nouvelles à Total commence son exposé sur la biologie de synthèse. “C’est important de préciser dans quel cadre nous travaillons”. Ses chercheurs redessinent le vivant. Ils s’échinent à mettre au point des organismes microscopiques, des bactéries, capables de produire de l’énergie.

En combinant ingénierie, chimie, informatique et biologie moléculaire, les scientifiques recréent la vie.

Ambition démiurgique

Aucune avancée scientifique n’a incarné tant de promesses : détourner des bactéries en usines biologiques capables de produire des thérapeutiques contre le cancer, des biocarburants ou des molécules capables de dégrader des substances toxiques.

Dans la salle Lamartine de l’Assemblée nationale ce 15 février, le parterre de spécialistes invités par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifique et techniques (OPECST) est silencieux. L’audition publique intitulée Les enjeux de la biologie de synthèse s’attaque à cette discipline jeune, enjeu déjà stratégique. Geneviève Fioraso, députée de l’Isère, qui l’a organisée, confesse : “J’ai des collègues parlementaires à l’Office qui sont biologistes. Ils me disent qu’ils sont parfois dépassés par ce qui est présenté. Ce sont des questions très complexes d’un point de vue scientifique”.

L’Office, dont la mission est “d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions” est composé de parlementaires, députés et sénateurs. Dix-huit élus de chaque assemblée qui représentent proportionnellement l’équilibre politique du Parlement. Assistés d’un conseil scientifique ad hoc ils sont saisis des sujets scientifiques contemporains : la sûreté nucléaire en France, les effets sur la santé des perturbateurs endocriniens, les leçons à tirer de l’éruption du volcan Eyjafjöll…

Marc Delcourt, le PDG de la start-up Global Bioenergies, basée à Evry, prend la parole :

La biologie de synthèse, c’est créer des objets biologiques. Nous nous attachons à transformer le métabolisme de bactéries pour leur faire produire à partir de sucres une molécule jusqu’à maintenant uniquement issue du pétrole, et dont les applications industrielles sont énormes.

Rencontré quelques jours plus tard, Philippe Marlière, le cofondateur de l’entreprise, “s’excuse”. Il donne, lui, une définition “assez philosophique” de la biologie de synthèse : ” Pour moi c’est la discipline qui vise à faire des espèces biologiques, ou tout objet biologique, que la nature n’aurait pas pu faire. Ce n’est pas ‘qu’elle n’a pas fait’, c’est ‘qu’elle n’aurait pas pu faire. Il faut que ce soit notre gamberge qui change ce qui se passe dans le vivant”.

Ce bio-chimiste, formé à l’École Normale Supérieure, assume sans fard une ambition de démiurge, il s’agit de créer la vie de manière synthétique pour supplanter la nature. Il ajoute :

Je ne suis pas naturaliste, je ne fais pas partie des gens qui pensent que la nature est harmonieuse et bonne. Au contraire, la biologie de synthèse pose la nature comme imparfaite et propose de l’améliorer .

Aussi provoquant que cela puisse paraître c’est l’objectif affiché et en partie atteint par la centaine de chercheurs qui s’adonne à la discipline depuis 10 ans en France. Il reprend : “Aussi vaste que soit la diversité des gènes à la surface de la terre, les industriels se sont déjà persuadés que la biodiversité naturelle ne suffira pas à procurer l’ensemble des procédés dont ils auront besoin pour produire de manière plus efficace des médicaments ou des biocarburants. Il va falloir que nous nous retroussions les manches et que nous nous occupions de créer de la bio-diversité radicalement nouvelle, nous-mêmes.”

Biologiste-ingénieur

L’évolution sur terre depuis 3 milliard et demi d’années telle que décrite par Darwin est strictement contingente. La sélection naturelle, écrit le prix Nobel de médecine François Jacob dans Le jeu des possibles “opère à la manière d’un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu’il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main, les objets les plus hétéroclites, bouts de ficelle, morceaux de bois, vieux cartons pouvant éventuellement lui fournir des matériaux […] D’une vieille roue de voiture il fait un ventilateur ; d’une table cassée un parasol. Ce genre d’opération ne diffère guère de ce qu’accomplit l’évolution quand elle produit une aile à partir d’une patte, ou un morceau d’oreille avec un fragment de mâchoire”.

Le hasard de l’évolution naturelle, combiné avec la nécessité de l’adaptation a sculpté un monde “qui n’est qu’un parmi de nombreux possibles. Sa structure actuelle résulte de l’histoire de la terre. Il aurait très bien pu être différent. Il aurait même pu ne pas exister du tout”. Philippe Marlière ajoute, laconique : “A posteriori on a toujours l’impression que les choses n’auraient pas pu être autrement, mais c’est faux, le monde aurait très bien pu exister sans Beethoven”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comprendre que l’évolution n’a ni but, ni projet. Et la science est sur le point de pouvoir mettre un terme au bricolage inopérant de l’évolution. Le biologiste, ici, est aussi ingénieur. A partir d’un cahier des charges il définit la structure d’un organisme pour lui faire produire la molécule dont il a besoin. Si la biologie de synthèse en est à ses balbutiements, elle est aussi une révolution culturelle.

Il s’agit désormais de créer de nouvelles espèces dont l’existence même est tournée vers les besoins de l’humanité. “La limite à ne pas toucher pour moi c’est la nature humaine. Je suis un opposant acharné au transhumanisme“, met tout de suite en garde le généticien.

A, T, G, C

Depuis que Francis Crick, James Watson et Rosalind Franklin ont identifié l’existence de l’ADN, l’acide désoxyribonucléique, en 1953, une succession de découvertes ont permis de modifier cet l’alphabet du vivant.

On sait désormais lire, répliquer, mais surtout créer un génome et ses gènes, soit en remplaçant certaines de ses parties, soit en le synthétisant entièrement d’après un modèle informatique. Les gènes, quatre bases azotées, A, T, G et C qui se succèdent le long de chacun des deux brins d’ADN pour former la fameuse double hélice, illustre représentation du vivant. Quatre molécules chimiques qui codent la vie : A, pour adénine, T pour thymine, G pour guanine, et C pour cytosine. Leur agencement détermine l’activité du gène, la ou les protéines pour lesquelles il code, qu’il crée. Les protéines, ensuite, déterminent l’action des cellules au sein des organismes vivants : produire des cheveux blonds, des globules blancs, ou des bio-carburants.

On peut à l’heure actuelle, en quelques clics, acheter sur Internet une base azotée pour 30 cents. Un gène de taille moyenne, chez la bactérie, coûte entre 300 et 500 €, il est livré aux laboratoires dans de petits tubes en plastique translucide. Là il est intégré à un génome qui va générer de nouvelles protéines, en adéquation avec les besoins de l’industrie et de l’environnement.

L’être humain est devenu ingénieur du vivant, il peut transformer de simples êtres unicellulaires, levures ou bactéries en de petites usines qu’il contrôle. C’est le bio-entrepreneur américain Craig Venter qui sort la discipline des laboratoires en annonçant en juin 2010 avoir crée Mycoplasma mycoides, une bactérie totalement artificielle “fabriquée à partir de quatre bouteilles de produits chimiques dans un synthétiseur chimique, d’après des informations stockées dans un ordinateur”.

Si la création a été saluée par ses pairs et les médias, certains s’attachent toutefois à souligner que sa Mycoplasma mycoides n’a pas été crée ex nihilo, puisque le génome modifié a été inséré dans l’enveloppe d’une bactérie naturelle. Mais la manipulation est une grande première.

Tour de Babel génétique

Philippe Marlière a posé devant lui un petit cahier, format A5, où après avoir laissé dériver son regard il prend quelques notes. “Il y a longtemps qu’on essaye de changer le vivant en profondeur. Moi c’est l’aspect chimique du truc qui m’intéresse : où faut-il aller piocher dans la table de Mandeleiev pour faire des organismes vivants ? Jusqu’où sont-ils déformables ? Jusqu’à quel point peut-on les lancer dans des mondes parallèles sur terre ?”. Il jette un coup d’œil à son Schweppes :

Prenez l’exemple de l’eau lourde. C’est une molécule d’eau qui se comporte pratiquement comme de l’eau, et on peut forcer des organismes vivants à y vivre et évoluer. Or il n’y a d’eau lourde nulle part dans l’univers, il n’y a que les humains qui savent la concentrer. On peut créer un microcosme complètement artificiel et être sûr que l’évolution qui a lieu là-dedans n’a pas eu lieu dans l’univers. C’est l’évolution dans des conditions qui n’auraient pas pu se dérouler sur terre, c’est intéressant. La biologie de synthèse est une forme radicale d’alter-mondialisme, elle consiste à dire que d’autres vies sont vraiment possibles, en les changeant de fond en comble.

Ce n’est pas une provocation feinte, ce n’est même pas une provocation. L’homme a à cœur d’être bien compris. Il s’agit de venir à bout de l’évolution darwinienne, pathétiquement coincée à un stade qui n’assure plus les besoins en énergie des 10 milliards d’humains à venir. Il faut pour ça réécrire la vie, son code. Innover dans l’alphabet de quatre lettres, A, C, G et T. Créer une nouvelle biodiversité. Condition sine qua non : ces mondes, le nôtre, le naturel, et le nouveau, l’artificiel, devraient cohabiter sans pouvoir jamais échanger d’informations. Il appelle ça la tour de Babel génétique, où les croisements entre espèces seraient impossibles.

“Les écologistes exagèrent souvent, mais ils mettent en garde contre les risques de dissémination génétique et ils ont raison. Les croisements entre espèces vont très loin. J’ai lu récemment que le chat et le serval sont inter-féconds”. Il estime de la main la hauteur du serval, un félin tacheté, proche du guépard, qui vit en Afrique. Un mètre de haut environ.

Par ailleurs il fallait être superstitieux pour imaginer que le pollen des OGM n’allait pas se disséminer. Le pollen sert à la dissémination génétique ! D’où notre projet, il s’agit de faire apparaître des lignées vivantes pour lesquelles la probabilité de transmettre de l’information génétique est nulle.

Le concept tient en une phrase :

“The farther, the safer : plus la vie artificielle est éloignée de celle que nous connaissons, plus les risques d’échanges génétiques entre espèces diminuent. C’est là qu’il y a le plus de brevets et d’hégémonie technologique à prendre.”

Il s’agit de modifier notre alphabet de 4 lettres, A, C, G et T, pour créer un nouvel ADN, le XNA, clé de la “xénobiologie”:

X pour Xeno, étranger, et biologie. Le sens de cet alphabet ne serait pas lisible par les organismes vivants, c’est ça le monde qu’on veut faire. C’est comme lancer un Spoutnik, c’est difficile. Mais comme disait Kennedy, ‘On ne va pas sur la lune parce que c’est facile, on y va parce que c’est difficile.’

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Retrouvez la suite de cet article en deux parties ici et .


Cette enquête sera publiée en trois parties tout au long de la semaine.
Illustrations par Daniel*1977 (ccbyncssa)/Flickr

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Médecine: hacker ouvert? http://owni.fr/2011/06/29/medecine-hacker-ouvert/ http://owni.fr/2011/06/29/medecine-hacker-ouvert/#comments Wed, 29 Jun 2011 06:35:33 +0000 PerrUche En Automne http://owni.fr/?p=72020 J’aime bien une émission de France culture, « Place de la toile ». Pour ceux qui s’intéressent aux cultures numériques mais qui ne sont que des béotiens, comme moi, c’est toujours passionnant. L’idée de cette note est née de l’écoute d’une émission sur l’histoire du Hacking. J’en avais écrit une première version qui est toujours en friche et le restera certainement. Cette nouvelle note est catalysée par des lectures récentes sur l’éthique médicale, une réunion institutionnelle sur les molécules onéreuses prescrites hors autorisation de mise sur le marché (AMM), une note de l’ami Jean-Marie qui reprend les propositions révolutionnaires de notre ministre de tutelle et une histoire récente.

J’ai découvert qu’Apple était né grâce au hacking des compagnies téléphoniques américaines en utilisant la blue box du Captain Crunch. Il est tout a fait fascinant de voir l’évolution de Steve Jobs, fabriquant des blue boxes [en], les revendant pour acheter du matériel, créer le premier Mac et, 30 ans plus tard, se transformer en créateur d’un des systèmes les plus fermés et propriétaires du monde. Comment le pirate de AT&T devient le créateur de iTunes et de l’Apple store ? La métamorphose est passionnante. Elle illustre à mon avis un des risques de l’obsession de normalisation de notre société que traduisent certaines mesures du plan de M. le Ministre comme:

Détection et suivi de l’usage “hors AMM” des médicaments afin d’identifier les pratiques à risque.

Par définition, une prescription hors AMM est perçue comme dangereuse, alors qu’elle pourrait aussi être perçue comme un vecteur d’innovation. Quand on détourne de son usage un objet, il en sort parfois du bon. Je suis convaincu que la sortie du net du milieu militaire et universitaire est un bien. Ces mesures sont prises à la va vite sous la pression de l’affaire du Médiator. Le système est défensif. Il repose uniquement sur le flicage plutôt que sur la formation, la responsabilisation et la mise en confiance des différents acteurs. La médecine défensive [en], contrairement à ce que de nombreuses personnes croient, coûte chère et n’améliore pas la qualité des soins.

On veut normaliser pour que rien ne dépasse, pour vivre dans un cocon douillet, sans risque, dans une illusion de maîtrise, alors que la vie n’est que prise de risques et aléas.

Le médecin, ce hacker

La médecine est une activité à risque. Nous jouons avec la camarde une partie perdue d’avance. Notre but n’est que de la faire durer un petit peu plus. Il faut répondre à la souffrance du patient, à ses angoisses, à ses questions, à sa peur de la mort ou du handicap. Chaque individu est unique et nous devons faire l’inverse du scientifique. Nous partons du général pour aller au cas particulier en maîtrisant le mieux possible nos maigres connaissances. C’est ici que le médecin rejoint parfois le hacker.

Il y a un problème, un obstacle, un symptôme, une maladie. On applique un code ou un programme ou une démarche diagnostique ou thérapeutique qu’on a utilisé 100 fois et patatra, ça ne fonctionne pas. Que faire ? Il y a deux solutions :

  • Détourner le regard et dire je ne rentrerai jamais dans ce système, il est trop bien protégé, ce symptôme, ce malade que je ne comprends pas je ne le vois pas, je scotomise ce bilan incompréhensible.
  • Ce firewall, ces mesures de protection, je vais les briser pour aller voir derrière, ce patient qui souffre mérite une solution unique pour lui et il va falloir mettre les mains dans le cambouis et trouver le bon code qui apportera une réponse la moins mauvaise possible.

Le hacker informaticien a une chance par rapport au hacker médecin, le code est connu (je me trompe peut-être, mes compétences et connaissances dans le domaine sont limitées). Le médecin utilise un code qui est partiellement connu, parfois il jongle plutôt avec du vide conceptuel que de la science bien ferme. Ce n’est pas forcément la chose la plus facile, trouver une solution quand on ne sait pas comment tout marche.

Dans de multiples situations nous nous retrouvons à bidouiller les prescriptions ou parfois ne prescrivons pas et bidouillons avec des mots quand nous arrivons au bout de nos ressources. La médecine est belle pour ça, amasser des connaissances, le plus de connaissances, que nous espérons les plus solides possibles et les appliquer à un patient avec son histoire, son terrain, sa subjectivité. Trafiquer le mieux possible pour que l’homme malade face à nous aille mieux. Parfois, il suffit de suivre la littérature, ce que nous avons appris à l’école. Nous ne réinventons pas la roue tous les jours, il faut juste des petits ajustements, des réglages de rien. Parfois malgré un diagnostic, nous ne faisons pas ce qu’il faudrait car en face de nous, il y a un sujet. Parfois on négocie avec sa conscience, on renonce à la perfection pour faire moins mal. Parfois nous nageons dans l’inconnu et là, c’est le grand bricolage, la quête d’une attitude la plus raisonnable. Mais, parfois, il faut oser.

Nous devons garder une certaine liberté de prescription sous la réserve de pouvoir toujours justifier de la façon la moins irrationnelle nos choix. La décision collégiale est une aide. L’écriture dans le dossier médical, pour qu’il reste une trace de notre cheminement et de nos choix, est essentielle.

Voici un exercice sain, justifier nos choix quand la science ne nous aide pas à décider, ou même si il y a du très solide. Nous trafiquons avec le patient, en partenariat, pour essayer de trouver la solution la plus adéquate. Parfois il ne faut pas transiger, parfois il faut faire preuve de souplesse, pas de dogmatisme mais de l’adaptation. On nous ferme la porte, je rentre par la fenêtre, car fracasser la porte n’est pas une solution. Comme le hacker, il faut connaitre les commandes du code ou du réseau le plus parfaitement possible.

“Surveiller mais ne pas brider”

Pour être libre, il faut savoir. Le savoir libère. Ce n’est pas pour rien que les dictatures brûlent les livres. La confrontation à la difficulté qui met en échec nos maigres connaissances nous rend meilleur si nous nous donnons la peine d’utiliser notre système nerveux central. J’aime toujours autant la clinique pour cette raison.

Le malade arrive avec son problème, et notre rôle est de trouver la solution la plus élégante possible. Quand vous écoutez des programmeurs, il y a une dimension de beauté dans du code bien écrit ou dans une solution trouvée qui ne passe pas par la force brute, l’éternel lutte entre Thor et Loki. Je préfère Loki, même si beaucoup trouvent que j’ai souvent une approche brutale. J’utilise ce que je veux quand je pense que c’est nécessaire.

Il faut que la régulation fasse très attention en voulant limiter nos possibilités de prescrire des molécules onéreuses ou non hors AMM. Certaines maladies rares, sans être exceptionnelles, ne feront pas l’objet d’études bien réalisées pour plein de raisons. La prescription hors AMM et hors étude peu apporter une preuve de concept qui permettra d’initier un essai randomisé. La prescription hors AMM peut permettre d’améliorer le soin. Ne diabolisons pas une pratique qui peut nous aider. Il faut un encadrement, il faut protéger les patients des fous, mais quand je vois qu’on laisse Simoncini en liberté, je me dis qu’il y a du travail. Il faut une culture du hors AMM, savoir analyser sa pratique, reprendre les cas et faire le point à intervalles réguliers. La discussion formalisée est un outil indispensable.

Il faut surveiller mais ne pas brider ceux qui vont à la limite pour l’intérêt du patient. Chercher une solution originale ou du moins sortant des sentiers battus pour éviter que mon patient ne finisse en dialyse, c’est un bel objectif.

La quête de l’équilibre, oui j’y reviens toujours. J’aime trop la physiologie rénale pour ne pas aimer la beauté de l’équilibre. L’équilibre dans le monde du vivant est dynamique, avec des mises en tensions dans un sens, dans un autre, et chaque fois le retour à un état compatible avec la vie. Ce nouvel état n’est pas forcément équivalent au précédent. La maladie est un bon exemple. Elle nous transforme. Je n’aime pas l’époque actuelle car elle voudrait comme un ordinateur ne réfléchir qu’en 0 et 1 (bien ou mal), comme si entre ces deux chiffres, il n’y avait pas une infinité de nombres. J’aimerais pouvoir dans mon activité dire chaque fois, c’est bien, c’est mal. Malheureusement dans de nombreux cas, il est impossible de trancher et on trafique avec sa conscience, avec les désirs du patient. Passionnant, non?

Une petite histoire

Il a 20 ans, une mère folle et une insuffisance rénale chronique terminale. Il est hospitalisé en psychiatrie pour échapper à la folie de sa génitrice. Il est débile léger. Je l’ai rencontré la première fois, il y a deux semaines, je remplaçais l’interne parti en DU. J’en entendais parler depuis quelques temps. J’ai un peu bidouillé son traitement. L’idée était d’attendre sa sortie pour qu’il retrouve son néphrologue traitant en ville. L’hospitalisation s’éternisant et refusant de jouer au “je te remplis pour ne pas voir la créatininémie monter trop vite“, comme il commence à vomir, je décide que c’est l’heure. 850 de créat quand tu pèses 50 kg, ce n’est pas trop bon. J’appelle mon collègue de la dialyse qui me trouve une petite place. Première séance, il refuse, deuxième séance même histoire. Jeudi, la troisième. Je l’ai vu deux fois, je lui avais parlé de l’importance de la dialyse et j’avais cru qu’il m’avait compris. Manifestement, j’ai échoué. J’ai dis à mes petits camarades de m’appeler si ils avaient un problème et évidement… Jamais deux sans trois.

Allo stéphane, il veut pas.

J’arrive dans le box de dialyse. Il est allongé. Il est très anxieux. L’interne de psychiatrie l’a accompagné. Il ne veut pas étendre le bras. Nous discutons. Brutalement, il explose:

Non,non, non, non.

Il ne sait dire que non. Il se replie en position fœtale, pauvre petit oiseau mort de trouille entouré par nos blouses, nos machines, nos aiguilles.

L’infirmière lui parle, l’interne lui parle, je lui parle. Je veux comprendre, je veux savoir pourquoi non. Je veux entendre ses mots au delà du non et en réponse encore “non, non, non”. Pourquoi non? Il ne peut pas le dire, ça dure. La solution de facilité : lâcher. Je n’ai pas envie, les trois soignants réunis autour du lit, nous n’en avons pas envie. Il faudra un jour le dialyser, commencer la technique. Ce ne peut pas être en catastrophe sur un OAP ou une hyperkalièmie. J’ai envie pour lui, et à l’instant présent contre lui, que la première séance se fasse dans le calme de la fin d’une après midi ensoleillée de juin et pas une froide nuit de garde de décembre avec des neuroleptiques dans les fesses. Il résiste, se replie, se ferme. Les mots ne sortent pas, je veux qu’il me regarde, je veux qu’il pose des mots sur son angoisse, sa terreur, pour ne pas rester avec ce rien. Le vide du mot “non” est insupportable.

Il y a derrière son non autre chose, le refus de la ponction de la pénétration de sa peau par l’aiguille tenue par une femme? Je ne saurai jamais, peut-être juste la peur de l’inconnu, mais je ne crois pas, c’est plus complexe, je ne suis pas psychiatre, juste néphrologue bourrin de base.

Je parle, nous parlons. Je continue dans mon approche monomaniaque. Je veux des mots. Il est insupportable celui qui veut des mots alors que vous ne pouvez rien dire. Toute votre vie on vous a appris que les mots sont dangereux. Alors finalement l’aiguille tenue par une jeune fille qui sourit, fait moins peur. D’un coup par mon obstination enfantine, le sourire paisible de l’infirmière et le calme de l’interne de psychiatrie, il lache, il se rallonge, il tend le bras.

On y va. Je reste. Le moment est difficile, heureusement l’emla ça marche. L’infirmière pose la première aiguille. Il me regarde dans les yeux, je ne veux pas qu’il voit la pénétration du biseau dans sa peau. Je lui parle, il préfère à mes yeux, le décolleté de l’interne de psy. Ça y est, il n’a rien senti, on fixe. Il s’agite à nouveau, il n’est pas loin d’arracher l’aiguille. Je continue à parler, à raconter je ne sais plus quoi sur un mode automatique. Il se calme, il allonge le bras, la deuxième aiguille est en place. Il n’a pas mal. L’infirmière le branche, la machine tourne, le sang rencontre le filtre. C’est parti pour trois heures. Nous le félicitons de son courage, d’avoir pu surmonter sa peur. Je suis content. Nous n’avons pas eu besoin de sédation, juste de parler de trouver la clé pour l’aider. Rien n’est définitif, je ne pourrai pas assister à tous les branchements, ce ne pourra pas toujours être la même infirmière… Nous verrons, à chaque jour suffit ça peine.

C’est ça la médecine, être ensemble autour d’un problème qui peut paraitre trivial: “brancher en dialyse un patient qui ne veut pas“. Il est hors de question de le contraindre physiquement ou chimiquement. Nous sommes trois, nous ne nous sommes jamais rencontrés avant et pourtant après 3/4 heure, tendus vers le même objectif avec nos histoires, nos vécus, nos expériences différentes, nous avons réussi avec un outil élégant, libre et gratuit, la parole (le code premier et ultime, le langage) à résoudre ce problème qui pouvait paraître sans issue.

La ténacité est importante en médecine.
Quel métier passionnant…


Article initialement publié sur “PerrUche en Automne” sous le titre “De la médecine comme une forme de hacking”.

Photos Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par Divine Harvester, PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification par PhOtOnQuAnTiQuE, PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification par daedrius,PaternitéPartage selon les Conditions Initialespar quinn.anya, Paternité par molotalk.

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Les ghostwriters des sociétés pharmaceutiques http://owni.fr/2011/06/10/les-ghostwriters-des-societes-pharmaceutiques/ http://owni.fr/2011/06/10/les-ghostwriters-des-societes-pharmaceutiques/#comments Fri, 10 Jun 2011 07:34:57 +0000 Florence Piron http://owni.fr/?p=35114 Grâce à la persévérance de plusieurs chercheurs, comme la professeur Adriane Fugh-Berman[en] de Georgetown University, et à celle des avocats représentant les causes de patients victimes de certains médicaments (Vioxx, Zoloft, Paxil, hormone de remplacement), une pratique scandaleuse des compagnies pharmaceutiques a été récemment révélée : le ghostwriting, c’est-à-dire le recours à des auteurs fantômes. De quoi s’agit-il ?

Afin de mieux positionner leurs produits sur le marché (auprès des médecins), des compagnies pharmaceutiques mettent au point des “plans de publication” visant à publier, entre autres, un maximum d’articles scientifiques vantant les mérites de leurs produits dans les principales revues médicales (New England Journal of Medicine, etc.). Pour cela, elles embauchent des firmes de rédaction médicale qui mettent au point des articles promotionnels, au style tout à fait scientifique. Si certains de ces textes se contentent de mettre en évidence les bienfaits de médicaments testés dans un essai clinique au détriment d’une présentation claire des effets secondaires, d’autres présentent carrément des données falsifiées ou fabriquées.

Pas de conflit d’intérêts ?

Dans d’autres cas, il s’agit de “revues systématiques”, ces synthèses d’articles très lues par les médecins pressés. Les firmes de rédaction médicale contactent ensuite des médecins prestigieux (des leaders d’opinion) et, contre une rémunération parfois très élevée, leur demandent de signer l’article comme auteur unique. Comme ces médecins n’ont pas été payés directement par la compagnie pharmaceutique, ils ne déclarent pas de conflits d’intérêts qui pourraient attirer l’attention des lecteurs.

Sur la base de tels articles, des médicaments aux effets douteux et même dangereux (Vioxx, Paxil), possiblement onéreux pour le système de santé mais lucratifs pour les compagnies pharmaceutiques, sont prescrits à de nombreux patients. Le procès du Vioxx a permis de recenser des dizaines d’articles de ce type vantant ce médicament antiinflammatoire qui fut retiré en 2004 du marché par la FDA.

Récemment, on a découvert qu’un manuel très utilisé de pédopsychiatrie, recommandant l’usage du ritalin, avait été rédigé par une écrivaine fantôme[en], Sally Laden, payée par la compagnie qui fabrique le ritalin. Les deux auteurs officiels du livre sont Dr. Charles B. Nemeroff, directeur du département de psychiatrie à l’University of Miami medical school et Dr. Alan F. Schatzberg, directeur du département de psychiatrie à Stanford University School of Medicine…

Cette pratique convoque au moins 6 enjeux éthiques majeurs :

- la falsification d’un texte scientifique dans l’intention de tromper le public
- le manque de rigueur et d’intégrité des auteurs fantômes, dont la conscience est endormie par l’argent ou des promesses de pouvoir
- le manque d’esprit critique des revues médicales ou des maisons d’édition qui acceptent trop facilement des articles ou des livres d’auteurs prestigieux
- l’abus de confiance des médecins qui se fient, pour leur pratique clinique, à la qualité des “donnés probantes” publiées dans les grandes revues
- le manque de balises en droit et en éthique pour contrer ce genre de pratique
- les conséquences désastreuses sur la santé publique de ces “partenariats publics-privés” entre l’industrie et l’Université.

Voici différentes références sur ce sujet déjà évoqué en 2009 par l’Agence Science Presse – pour ceux qui ne croiraient toujours pas à une telle ignominie de la part de l’industrie pharmaceutique et des vedettes de la recherche biomédicale !

The Ethics of Ghost Authorship in Biomedical Research: Concerns and Remedies Workshop[en] (un atelier sur la question qui a eu lieu mercredi dernier à Toronto, auquel j’ai assisté)
The murky world of academic ghostwriting [en]
Le “ghostwriting” ou l’écriture en sous-main des articles médicaux
The Haunting of Medical Journals: How Ghostwriting Sold “HRT” [en]
What Should Be Done To Tackle Ghostwriting in the Medical Literature ? [en]
Not in my name [en]
Drug Company used Ghostwriters to Write Work Bylined by Academics, Documents show [en]
Is Drug Research Turning Into a Scam ? [en]


Article initialement publié sur le site “Agence Science Presse” sous le titre “La pratique du ghost writing dans la recherche biomédicale“.

Photo Flickr CC Paternité par striatic et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par Foto Pamp.

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Vers la transparence des organismes de santé grâce au web? http://owni.fr/2011/05/12/vers-la-transparence-des-organismes-de-sante-grace-au-web/ http://owni.fr/2011/05/12/vers-la-transparence-des-organismes-de-sante-grace-au-web/#comments Thu, 12 May 2011 07:24:00 +0000 Dominique Dupagne http://owni.fr/?p=34815 J’ai reçu le 22 avril un courrier de l’AFFSAPS m’informant d’un effet cancérigène possible de la pioglitazone (Actos®, Competact®) sur la vessie. L’information sur le fond se résumait à ce seul paragraphe :

Des signalements récents ont conduit à envisager un lien entre une exposition prolongée à la pioglitazone et une augmentation du risque de cancer de la vessie, ce qui pourrait remettre en question le rapport bénéfice/risque de la pioglitazone en traitement chronique chez les patients diabétiques.

Des signalements et un doute

Ce qui était présenté comme un simple doute était assorti de la promesse d’une grande étude en cours, réalisée à partir des données de l’Assurance-Maladie et publiée dès l’été 2011. Suivaient des conseils pratiques pour les prescripteurs et leurs patients qui peuvent continuer à utiliser ce médicament jusqu’à nouvel ordre.

Mais quelles étaient donc les données brutes, les faits qui ont généré cette inquiétude ? J’ai posé la question à l’AFSSAPS. Je n’ai eu aucune réponse malgré mon insistance. Je fais pourtant partie du groupe “Généralistes référents” de l’Agence et j’ai adressé mes demandes par email à mes interlocuteurs habituels.

C’est alors que j’ai découvert que la séance de la Commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) avait été filmée, et que la vidéo était en ligne sur le site de l’AFSSAPS. Voici un pas vers la transparence, tel que demandée depuis plusieurs années par Prescrire, le Formindep et les autres défenseurs d’informations sanitaires moins dépendantes des lobbies.

J’ai donc regardé ces deux vidéos de 40 mn chacune. La première concerne un exposé des données scientifiques, essentiellement par des représentants de la Commission de Pharmacovigilance qui avaient émis une recommandation de suspension. La deuxième montre les débats qui ont précédé le vote et la décision finale de la Commission d’AMM. Actuellement, la Commission de Pharmacovigilance est sous la tutelle de la Commission d’AMM qui est libre ou non de suivre ses recommandations.

La première réflexion qui vient à l’esprit concerne la richesse ce ce matériel. Que n’a-t-on pris plus tôt la décision de filmer des débats de cette commission, comme c’est le cas depuis longtemps aux USA !

Certes, la transparence est partielle car nous ne voyons pas les diapositives projetées ni les données qu’elles contiennent, mais les commentaires des orateurs sont riches d’enseignements et surtout, la vidéo traduit beaucoup mieux l’ambiance tendue de la réunion que le compte-rendu écrit avec son verbatim, également disponible.

Il n’existe pas réellement de doute sur l’effet cancérigène de la pioglitazone

Je découvre avec stupeur dans la première vidéo qu’il n’existe aucun doute sur l’augmentation du risque de cancer de la vessie liée à la pioglitazone. Toutes les données convergent : cancers chez le rat, effet cancérigène connu des parents chimiques de la pioglitazone, augmentation du risque de cancer de la vessie constaté dans au moins deux études. L’augmentation du risque est proportionnelle à la durée du traitement et à la dose consommée cumulée. La messe est dite, et nous sommes loin de simples signalements de cas (qui existent aussi, bien sûr). Cette augmentation du risque est de l’ordre de 50%, 270% dans l’hypothèse la plus défavorable issue de ces données. La convergence de ces éléments élimine la possibilité de cas liés au seul hasard.

La lettre que l’AFSSAPS a adressée aux prescripteurs édulcore donc la réalité scientifique du risque en laissant croire que l’affaire se résume à des observations isolées nécessitant une confirmation. J’ai d’ailleurs été abusé par cette formulation dansun premier billet écrit sur ce sujet.

En pratique, sachant que la fréquence habituelle du cancer de la vessie est de l’ordre de 1% sur une vie entière, la prise du médicament pourrait faire monter ce risque à 3%, et plus probablement autour de 1,5% soit 50% d’augmentation du risque.

Ce risque cancérigène étant connu se pose la question de l’intérêt du produit et du risque à en suspendre la commercialisation. La pioglitazone n’est pas le premier médicament à être associé à un risque cancérigène. Celui-ci étant connu, il doit être mis en balance avec le bénéfice du traitement, comme c’est le cas pour le traitement hormonal de la ménopause par exemple.

Un intérêt à démontrer

La question est clairement posée pendant le débat. La réponse est également très claire : l’intérêt de la pioglitazone dans le traitement du diabète reste à démontrer.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

C’est ce qui fait dire à un membre de la commission que la pioglitazone est un hypoglycémiant et non un antidiabétique : elle soigne la glycémie mais ne combat pas les conséquences de la maladie, jusqu’à preuve du contraire. Or l’objectif fondamental d’un antidiabétique n’est pas de faire baisser le taux de sucre dans le sang, mais d’éviter les complications cardiaques, neurologiques, rénales ou oculaires de l’hyperglycémie.

Ces deux aspects : risque cancérigène quasi avéré et intérêt thérapeutique nul ou incertain de la pioglitazone, ont conduit la Commission de Pharmacovigilance de l’AFSSAPS, réunie quelques semaines auparavant, à recommander la suspension de sa commercialisatio. C’est le message délivré par son représentant lors de la réunion de la commission d’AMM du 7 avril, en conclusion d’un exposé détaillé des données disponibles.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le débat qui va suivre cet exposé est très instructif (deuxième vidéo sur le site de l’AFSSAPS, il n’est pas possible de faire des liens directs vers les vidéos).

On prend les mêmes et on recommence

Première surprise, les acteurs principaux de ce débat sont également ceux qui étaient impliqués dans les décisions concernant le Mediator, qui ont de nombreux liens avec l’industrie pharmaceutique, et dont certains ont parlé d’Irène Frachon en terme peu flatteurs dans des échanges d’emails. Je ne développerai pas ce point, à rapprocher de l’actualité récente.

De curieux arguments

Deuxième surprise, les arguments qui viennent appuyer la non-suspension de la pioglitazone, contre l’avis de la Commission de Pharmacovigilance, sont assez étonnants :

  • Certains diabétologues ne prescrivent pas ce produit jugé sans intérêt, mais d’autres le considèrent comme indispensable chez certains patients.
  • Suspendre le produit avant le résultat attendu “de la plus grande étude mondiale” sur le sujet, française de surcroît, ne serait pas positif pour l’image des autorités de santé françaises.
  • Si l’on en croit les études disponibles, les cas de cancers induits par la pioglitazone sont peu nombreux sur une période courte (moins de 10 cancers supplémentaires pour 100 000 patients traités par pioglitazone d’après l’expert) donc rien ne presse.

Voici un exemple significatif de communication favorable au maintien de la pioglitazone :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les autres médicaments sont pires

L’argument le plus étonnant développé par les experts favorables au maintien de la pioglitazone est sans doute celui-ci :

Si l’on suspend la pioglitazone, elle risque d’être remplacée par d’autres médicaments susceptibles d’être plus dangereux pour les patients.

Voici un extrait du compte-rendu écrit de la séance. L’expert confirme que les éléments disponibles orientent vers une suspension de l’AMM du produit, mais pense qu’il est urgent d’attendre…

“Il faut distinguer deux aspects dans le débat. Premièrement, disposons-nous d’informations importantes qui orientent notre décision vers une suspension de la pioglitazone ? Il me semble que la réponse à cette question est affirmative. Le deuxième aspect est celui de l’immédiateté de la suspension. Le groupe de travail Diabète a été sollicité pour débattre de l’effet d’une suspension immédiate. Il nous a semblé que prendre une décision sans attendre la conclusion d’une étude que nous avons demandée compromettrait la crédibilité de la France vis-à-vis de l’Europe.

D’autre part, si l’on écarte l’avis de ceux qui ne prescrivent jamais de pioglitazone et l’avis de ceux pour lesquels la pioglitazone est irremplaçable, on peut considérer que le retrait de la pioglitazone provoquerait un report de prescription. La plupart des patients auxquels est prescrite la pioglitazone reçoivent déjà de la metformine ou ne la tolèrent pas.
Le report ne peut donc s’effectuer sur la metformine. Il portera sur les sulfonylurées, qui ont causé la mort de plus de patients que d’autres produits, sur les inhibiteurs de l’alpha-glucosidase, dont on sait que l’efficacité est moins grande que les problèmes digestifs qu’ils engendrent, et qui sont considérés comme des médicaments à la marge, et sur les agonistes du GLP1 et les inhibiteurs de la DPP4, médicaments actuellement sous surveillance.
Si nous suspendons immédiatement la pioglitazone, avant même toute décision européenne, nous orienterons les prescriptions sur les agonistes du GLP1 et les inhibiteurs du DPP4, dont on pourrait apprendre, au cours des prochains mois, qu’ils génèrent des pancréatites, des tumeurs du pancréas et des tumeurs de la thyroïde. Notre décision pourrait donc nous être reprochée. Pour ces raisons, notre groupe de travail a estimé inutile de prendre une décision avant que n’intervienne la décision européenne et la publication de l’étude de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM).”

Il se trouve tout de même (heureusement ?) un autre expert pour répondre :

Je n’entends ici que des commentaires qui tiennent compte du contexte extérieur, notamment de l’Europe, alors que nous sommes chargés de ne considérer que les faits. Or il y a une accumulation de preuves des risques induits par la pioglitazone. M. Marzin, et c’est là le plus important, a souligné que la pioglitazone est un promoteur et que trois mois d’exposition suffisent à l’apparition d’une tumeur. Si ceci est exact, il n’est pas acceptable de laisser des patients être exposés plus longtemps à la pioglitazone. Les preuves des risques, qui ne me semblent pas être compensées par des arguments en faveur du bénéfice de la pioglitazone, sont suffisantes pour que nous prenions une décision aujourd’hui.

Il ne sera pas écouté lors du vote final, majoritairement favorable à la poursuite de la commercialisation de la pioglitazone.

Je n’insiste pas plus sur le fond et je ne commenterai pas le débat. À partir des vidéos complètes ou du compte-rendu, n’importe quel étudiant en médecine de 5ème année ou patient disposant d’un bagage scientifique est à même de comprendre le problème et de se faire une idée correcte de la situation. Il manque juste une copie des diapositives projetées pendant la réunion. Je me permets tout de même d’ajouter que l’étude de la CNAM ne règlera en rien le problème : soit elle confirme le risque, et on aura perdu trois mois. Soit elle n’est pas en faveur du risque, mais ses limites (étude retrospective non randomisée) ne permettront pas d’affirmer l’absence de risque face aux données convergentes actuelles.

L’AFSSAPS doit faire sa révolution 2.0

Je voudrais maintenant prendre ma casquette “Médecine 2.0”, et faire quelques remarques générales qui commencent par des questions.

À quel moment a-t-on pris l’avis des principaux intéressés, les patients ? Sont-il d’accord pour continuer à prendre un médicament qui augmente leur risque de cancer ? Est-il acceptable de ne pas les informer de ce risque ?

À quel moment a-t-on pris l’avis des prescripteurs les plus nombreux, les généralistes ? Pourquoi parle-t-on uniquement pendant la réunion d’un groupe de diabétologues, surtout si c’est pour n’apporter que du vécu subjectif ?

Pourquoi se sent-on toujours obligé en France de prendre des décisions pour les autres : faites-ci, faites-cela, ne faites pas ceci… Pourquoi présume-t-on toujours que le patient et le prescripteur forment un couple d’irresponsables à qui il faut absolument dicter une conduite par des recommandations, des protocoles, des décisions binaires (retrait/maintien).

Nous sommes désormais dans un monde connecté, où chacun s’il le désire, peut accéder à des informations illimitées, pourvu qu’elles soient mises en ligne. Ce qui compte, c’est que l’information soit disponible.

Comme cela a été relevé pendant la séance par plusieurs intervenants, chaque médecin mais surtout chaque patient est unique. Comment peut-on imaginer qu’une décision binaire soit la bonne pour chaque patient ? C’est tout simplement impossible.

Cette nouvelle gestion de crise est très instructive. La Commission d’AMM de l’AFSSAPS n’a pas pris la mesure de la mutation en cours de la société de l’information. Son devoir fondamental n’est plus la production de décisions, comme le dit à tort son président, mais l’analyse de l’information, sa synthèse et sa mise à la disposition de tous. La décision elle-même n’est que l’aboutissement de ce processus et n’est pas toujours indispensable.

Au XXème siècle, il n’était pas question techniquement de permettre à chacun d’accéder aux dossiers sanitaires. Le fonctionnement de l’AFSSAPS était donc hérité d’une longue tradition jacobine : le citoyen délègue la recherche d’information à une élite, à un groupe d’experts qui vont décider ce qui est bien ou mal.

Faute de pouvoir diffuser simplement et économiquement une information exhaustive, seule la décision est portée à la connaissance du public. C’est ce que l’on constate avec la lettre adressée par l’agence à tous les prescripteurs.

À l’heure d’un internet banalisé et accessible quasiment à tous, ce fonctionnement obsolète n’est plus acceptable. La diffusion de l’information ne coûte quasiment plus rien. L’empowerment progressif du patient (mais aussi du prescripteur) ne permet plus de les tenir à l’écart des informations sources. Chacun est en droit de vouloir se forger sa propre opinion, sans être dépendant de l’accès aux données par un guichet qui les interprète et les libère au compte-goutte. Cette élaboration d’opinion peut être confiée à des tiers, mais des tiers librement choisis : les apomédiaires.

Informer le public

Nous ne sommes pas demandeurs de décisions qui nient notre intelligence, mais d’informations précises qui nous permettent de diriger notre vie et notre santé comme nous l’entendons. Les seules limites acceptables à cette liberté sont sociétales et économiques : nous ne devons pas mettre en danger la santé de nos concitoyens par nos comportements ni prétendre grever excessivement les budgets sociaux à notre bénéfice exclusif.

Les journalistes, dont c’est le métier, et les réseaux d’informations qui émergent sur internet, permettent de diffuser largement les synthèses, analyses et mises en perspectives de l’information sanitaire. Ce phénomène touche aussi bien les prescripteurs que les patients.

Le rôle d’une agence comme l’AFSSAPS est de protéger et d’éclairer le public et émettant des synthèses et des opinions,toujours associées à l’information brute. La prise de décisions arbitraires devrait à terme constituer l’exception. Dans un avenir lointain, je ne serais pas surpris que la notion même d’AMM disparaisse au profit d’une simple information du public sur les risques et inconvénients liés à chaque produit.

Dans cet esprit, voici ce qu’aurait pu être la communication d’une Commission d’AMM 2.0 qui aurait d’ailleurs vocation à porter un autre nom (c’est l’esprit qui compte, n’ayant pu obtenir le dossier scientifique, j’ai pu commettre des erreurs sur le fond).

La commission d’AMM s’est penchée le 7 avril sur la pioglitazone, médicament destiné au traitement du diabète non insulino dépendant. Il s’agissait d’évaluer le risque de cancer de la vessie qui serait augmenté par la prise de ce médicament.

Les 10 membres de cette commission ont auditionné le 4 mars les experts du dossier et le laboratoire Takeda qui commercialise la pioglitazone. L’ensemble des auditions et des documents cités ou présentés a été mis en ligne sur le site de l’agence (texte et vidéo).

La Commission d’AMM s’est de nouveau réunie le 7 avril pour auditionner des représentants de patients, de prescripteurs, et différentes personnes qualifiées susceptibles d’éclairer la réflexion des commissaires. Ceux-ci ont ensuite poursuivi leur discussion seuls. L’enregistrement de ces auditions et de la discussion finale sont disponibles sur le site de l’agence.

À la lumière des éléments disponibles portés à leur connaissance, les commissaires ont réalisé la synthèse suivante :

Des éléments convergents rendent hautement probable une augmentation du risque de cancer de la vessie chez les patients traités par pioglitazone. Une étude en cours réalisée à partir des données de l’assurance maladie permettra d’en savoir plus cet été, mais le dossier actuel est suffisant pour considérer prendre ce risque au sérieux.

La quantification du risque est difficile. Les données suggèrent une augmentation du risque comprise entre 50 et 300%, c’est à dire que le risque de cancer de la vessie, de l’ordre de 1% dans la population générale, augmenterait à 1,5%, voire 3% en cas de traitement par pioglitazone. Ces chiffres sont des projections statistiques et ne correspondent pas à un décompte de cas réels.

Comme toujours dans cette situation, la révélation de ce risque doit être mise en balance avec le bénéfice que la pioglitazone apporte aux diabétiques. Les études scientifiques disponibles ne sont pas en faveur d’une action significative de la pioglitazone sur les risques de complications liées à l’augmentation de la glycémie. La Commission de Transparence de la Haute Autorité de Santé a réévalué la pioglitazone et considéré que ce produit n’apportait pas de service médical supplémentaire par rapport aux autres médicaments du diabète.

Dans ces conditions, l’usage de la pioglitazone chez le diabétique ne paraît pouvoir se justifier que dans les situations exceptionnelles d’impasse thérapeutique, après avoir informé le patient du risque encouru. La Commission d’AMM recommande au directeur de l’AFSSAPS de prendre les décisions suivantes
Sur chaque ordonnance initiale prescrivant de la pioglitazone, le prescripteur devra indiquer “avertissement remis ”, matérialisant la remise à son patient d’une copie de ce communiqué.
Sur chaque boîte de produit, dans un délai de 4 mois, la notice devra contenir un encadré ou un texte “Informations importantes sur le risque de cancer de la vessie”. Ce texte indiquera : “Des éléments concordants laissent penser que ce médicament augmente le risque de cancer de la vessie. Parlez-en avec votre médecin ou lisez la synthèse disponible à cette adresse (lien internet et Flashcode ).

Il me semble que ce type d’action ou de communication va plus dans le sens de la démocratie sanitaire, de l’empowerment du patient et du prescripteur ainsi que d’une circulation fluide de l’information.


Article initialement publié sur Atoute.

Photo Flickr CC BY-NC par \!/_PeacePlusOne, CC BY-NC-ND par Ludovic Coquin, CC BY-NC par Gatis Gribusts et CC BY-NC-SA par Povilas.Baranovas.

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http://owni.fr/2011/05/12/vers-la-transparence-des-organismes-de-sante-grace-au-web/feed/ 7
Après le Mediator, le Vioxx, le nouveau médoc qui tue ? http://owni.fr/2011/01/08/apres-le-mediator-le-vioxx-le-nouveau-medoc-qui-tue/ http://owni.fr/2011/01/08/apres-le-mediator-le-vioxx-le-nouveau-medoc-qui-tue/#comments Sat, 08 Jan 2011 09:30:28 +0000 Napakatbra (Les mots ont un sens) http://owni.fr/?p=41513

Un article repéré

par OWNIpolitics.com


Le Mediator a tué entre 500 et 2000 personnes. Scandale ! Que penser, alors, du Vioxx, ce médicament anti-douleur et anti-inflammatoire largement utilisé contre l’arthrite entre 1999 et 2004 ? Il aurait, selon la FDA (Food and Drug Administration, agence de régulation américaine des médicaments) provoqué 160 000 crises cardiaques et attaques cérébrales et 30 000 décès, rien qu’aux États-Unis. Chiffre récemment réévalué à 40 000 par une nouvelle étude. En France, c’est le flou artistique… y a-t-il eu un seul mort ? On ne le saura peut-être jamais…

L’inquiétant mutisme de l’Afssaps face à des études accablantes

En 2007, le géant pharmaceutique Merck (commercialisant le Vioxx) a négocié un règlement à l’amiable concernant 95% des 26.600 plaintes déposées contre lui, pour un montant de 5 milliards de dollars. Mais certains plaignants ont refusé l’arrangement, et les procès qui suivent leur cours dévoilent régulièrement quelques cadavres, bien planqués au fond des placards. Le bimensuel Archives of Internal Medicine a notamment révélé, l’année dernière, que Merck n’avait pas publié les résultats d’études cliniques effectuées après la mise sur le marché du médicament. Un oubli, sans doute.

Fâcheux, puisque ces études montraient dès 2001 que le Vioxx augmentait nettement le risque d’attaques cardiaques et cérébrales. Un accroissement estimé à 35% en juin 2001, à 39% en avril 2002 et à 43% en septembre 2004, au moment de son retrait du marché. Malgré ces études, le laboratoire a toujours nié tout risque sanitaire… et pendant ce temps là, il continuait d’accumuler les profits, 2 milliards de dollars tous les ans.

Dans cette affaire, les autorités sanitaires, dont l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), ont été d’une passivité exemplaire. En novembre 2000, l’étude américaine Vigor prouve que le Vioxx entraine une très nette augmentation du nombre d’infarctus du myocarde, ce qu’admet l’Afssaps dans un communiqué. Mais notre Agence nationale fait valoir qu’à l’origine :

cette étude n’avait pas « pour objectif l’étude de la tolérance cardio-vasculaire », elle ne vaudrait donc pas grand chose car « seule une étude spécifique permettrait d’évaluer le risque cardio-vasculaire éventuel » du médicament.

Et les patients sont priés de gober la pilule.

Recommandation d’urgence : attention… aux brûlures d’estomac !

En juin 2002, constatant que le Vioxx est devenu un best-seller en quelques mois (Merck a cartonné sur la pub), le coeur léger, l’Afssaps se décide tout même à recommander aux médecins d’avoir la main un peu plus légère sur les prescriptions, car la molécule engendrerait des effets secondaires notables… sur le système digestif. Quant aux risques cardio-vasculaires, il « est en cours d’évaluation ». En juillet 2004, l’Afssaps rend compte d’une réévaluation du rapport bénéfice/risque avalisée par la Commission européenne quatre mois plus tôt : RAS, tout va bien, « la sécurité d’emploi des coxibs [dont le Vioxx fait partie] n’est pas remise en cause ». Et bonjour chez vous.

C’est alors qu’en septembre 2004, l’Agence tombe des nues. Elle annonce, dans un communiqué, qu’elle « vient d’être informée [...] de la décision des laboratoires Merck Sharp & Dohme-Chibret de l’arrêt mondial de la commercialisation de leur spécialité Vioxx ». Il lui faudra 9 mois de plus pour admettre officiellement que le médicament est effectivement dangereux sur le plan cardio-vasculaire. Ce que ne contesteront certainement pas les milliers de malheureux qui ont claqué entre temps…

Ce qu’on appelle un plan (de pharmacovigilance) qui se déroule sans accro(c)… ?

Billet publié initialement sur le blog Les mots ont un sens sous le titre Vioxx : Le médoc qui a fait 40 000 morts aux Etats-Unis… et aucun en France ?

Photos FlickR CC Hector Garcia ; Adisson Berry.

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ACTA: quatre lettres qui pourraient changer la face du monde http://owni.fr/2010/09/14/acta-quatre-lettres-qui-pourraient-changer-la-face-du-monde/ http://owni.fr/2010/09/14/acta-quatre-lettres-qui-pourraient-changer-la-face-du-monde/#comments Tue, 14 Sep 2010 10:48:08 +0000 Sandrine Bélier http://owni.fr/?p=28038 A une semaine du prochain round des négociations ACTA qui reprendront à Tokyo le 23 septembre, l’eurodéputée écologiste Sandrine Bélier rappelle, en dépit des propos rassurants tenus par la Commission européenne, l’urgence qu’il y a à se mobiliser contre un texte qu’elle juge, tant sur la forme que sur le fond, inacceptable en l’état. Contournement des processus démocratiques en vigueur, mise en danger des libertés publiques, entrave à l’accès aux savoirs et aux médicaments, brevetabilité du vivant, fragilisation des activités économiques en ligne… La liste, particulièrement préoccupante, est non exhaustive…

Peut-on imaginer en 2010, qu’un petit groupe d’États décide, en dehors de tout cadre institutionnel et au mépris des règles démocratiques les plus élémentaires, de restreindre nos libertés numériques, notre accès à l’information, aux savoirs, aux médicaments? Peut-on imaginer qu’un petit groupe d’États légifère de telle sorte que le devenir de ces droits ne dépende demain plus – ou presque – que du bon vouloir de grandes firmes internationales?

La chose paraît raisonnablement improbable et impossible, à quatre lettres près : A.C.T.A (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). ACTA, le traité négocié depuis plus de deux ans dans le plus grand secret par les États-Unis, l’Union européenne (Conseil et Commission sans le Parlement, exclu des négociations), l’Australie, le Canada, la Corée, le Japon, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour et la Suisse.

La motivation affichée par les négociateurs: harmoniser et renforcer la lutte internationale contre la contrefaçon. Mais le contenu du texte qui a «malencontreusement» commencé à «fuiter» dès le 22 mai 2008, grâce au désormais célèbre Wikileaks, révèle une tout autre réalité et explique la chape de plomb qui pèse sur les négociations et contre laquelle se mobilise depuis, associations de protection des libertés civiles, parlements nationaux et européen.

Le traité secret des grands de ce monde

Les négociations ACTA se poursuivent dans le plus grand secret, sans aucun contrôle parlementaire ou consultation de la société civile et ont volontairement cours en dehors de toute institution internationale compétente, comme pourraient l’être l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) ou l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle). Le Parlement européen, désormais partie prenante aux engagements internationaux de l’Union européenne, est lui aussi soumis au secret, malgré ses demandes répétées de transparence.

Outre de rares débriefings oraux, obtenus sous pression parlementaire, Luc Devigne, négociateur pour l’Union européenne et Karel de Gucht, commissaire européen au Commerce s’obstinent à fuir l’obligation de transparence envers le Parlement que leur impose pourtant le Traité de Lisbonne et qui leur a encore été rappelée par les eurodéputés lors de l’adoption, la semaine dernière, de la Déclaration 12. On nous objecte que les membres de la commission parlementaire INTA (Commerce International) ont reçu les deux dernières versions du texte, en juillet et en août.

Mais nos collègues sont soumis à l’obligation de confidentialité. Et chacun des exemplaires distribués est personnalisé et numéroté, page après page, dans toute sa hauteur, afin de palier tout risque de (photo)copie et à des fins d’identification de tout parlementaire contrevenant… Excluant de fait, les membres des commissions parlementaires LIBE (Libertés publiques), JURI (juridiques) et ENVI (Environnement et Santé) de l’accès à l’information et du droit d’expression, au risque de mettre en porte-à-faux leurs collègues d’INTA.

En d’autres termes, à ce jour officiellement, ne siégeant pas dans la Commission INTA, malgré mon statut de députée européenne, représentante des citoyens européens, appelée dans l’avenir à voter sur cet accord touchant à des sujets sur lesquels je suis particulièrement engagée, je ne suis donc pas censée connaître et m’exprimer sur la dernière version de la négociation dont l’accès ne m’est pas autorisé… c’est sans compter sur la pugnacité de la société civile organisée.

Le traité qui pourrait bien changer la face du monde

Fuites après fuites, obtenues grâce à la persévérance d’associations comme la Quadrature du Net ou la Knowledge Ecology International, il apparait que la négociation visant à lutter contre la contrefaçon prend une dimension qui dépasse largement la simple protection des marques sur des biens matériels – contrairement aux engagements de la Commission européenne. La définition et le champ d’application de la contrefaçon est largement revisité.

Par lutte contre la contrefaçon, les négociateurs américains cherchent avant tout à renforcer la protection du copyright, des droits d’auteur et du droit des marques. La Commission européenne et les États membres de l’Union, via le Conseil, souhaitent quant à eux aller encore au-delà en y adjoignant les indications géographiques (visant la protection des AOC) et les brevets dans les domaines de l’informatique, pharmaceutique ou alimentaire.

Cela implique que tout produit couvert d’un droit de propriété intellectuelle pourrait, sur seule présomption de contrefaçon, être saisi, voire détruit en douane. Pourraient être saisis et détruits les produits d’exportation agricoles suspectés de contenir un gène breveté – même issu d’une production conventionnelle ou biologique, végétale ou animale, victime d’une contamination OGM. Le risque est le même pour les produits pharmaceutiques et particulièrement pour les médicaments génériques.

En matière informatique, l’avenir du logiciel libre serait particulièrement menacé par l’article 2.18§6, le seul développement d’un lecteur de DVD sous Linux nécessitant, pour exemple, le contournement des Digital Rights Management.

Côté web, tout Internaute également soupçonné de piratage pourrait être poursuivi. La responsabilité de son fournisseur d’accès Internet (FAI) ou de tout autre intermédiaire être engagée. Outre une coopération renforcée avec les ayants droit demandée aux intermédiaires, l’article 2.5 prévoit en effet, «dans certaines conditions» (bien évidemment non précisées…), qu’il peut leur être demandé de participer directement à la prévention de «toute infraction imminente aux droits de la propriété intellectuelle»…

Nouvelle gouvernance et remise en cause des acquis démocratiques, privatisation des savoirs et du vivant, fragilisation de l’accès aux médicaments, grandes oreilles, filtrage et blocage du Net, voilà un aperçu du nouveau monde selon ACTA, si nous ne nous y opposons pas !

Illustration CC par Geoffrey Dorne

Lire nos articles sur le même sujet:

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http://owni.fr/2010/09/14/acta-quatre-lettres-qui-pourraient-changer-la-face-du-monde/feed/ 6
Libérez les données de vos expériences http://owni.fr/2010/08/19/liberez-les-donnees-de-vos-experiences-2/ http://owni.fr/2010/08/19/liberez-les-donnees-de-vos-experiences-2/#comments Thu, 19 Aug 2010 09:19:52 +0000 Ben Goldacre (trad. Martin Clavey) http://owni.fr/?p=25233

La semaine dernière, l’entreprise pharmaceutique AstraZeneca a payé 150 millions d’euros de dommages et intérêts pour stopper une action collective en justice (class action). Plus de 17 500 patients affirment que l’entreprise a retenu des informations montrant que la quetiapine, médicament traitant la schizophrénie (vendu sous le nom de Seroquel) [NDT: mais interdit en France], pouvait être la cause de diabètes. Mais pourquoi les entreprises payent avant le procès ?

Les litiges, entre autres bonnes choses, font sortir dans le domaine public certains documents. Grâce à ça, nous en savons un peu plus sur les plans diaboliques de l’industrie du tabac pour cibler les jeunes ou sur le faux journal académique que Elsevier a créé pour le département marketing de Merck, par exemple.

Un des documents les plus importants de l’industrie pharmaceutique révélé dans ce cadre traite de la quetiapine. Il se trouve maintenant dans une archive en ligne. Ce document est un email de John  Tumas, directeur des publications chez Astrazeneca, dans lequel il admet que tout ce que je dénonce sur mon blog et ailleurs depuis un moment, l’industrie pharmaceutique le fait.

« Laissez moi rejoindre la bagarre » commence John dans sa réponse à un collègue.  « Il y a eu un précédent jeu de données avant un tri sélectif. » Le tri sélectif de données, c’est quand on donne seulement les données à son avantage tout en enterrant les données qui pourraient nuire au patient. Les oreilles des avocats se dressent à chaque fois qu’une histoire de données sciemment ignorées par l’industrie pharmaceutique sort car cela implique quelque chose de délibéré. Il explique que le dernier tri sélectif a eu lieu au sujet « des données de l’essai 15 de la présentation de Velligan (un des essais enterrés) ».

L’essai 15 est un essai effectué par AstraZeneca, dont on a beaucoup parlé. Les patients schizophrènes en rémission étaient aléatoirement assignés à un groupe qui recevait soit la quetiapine de AstraZenece soit un ancien médicament moins cher, le Haloperidol. Après un an, les patients sous Seroquel allaient moins bien : ils ont eu plus de rechutes (ce qui est très important dans le monde réel) et de moins bons scores sur des échelles d’évaluation de l’intensité des symptômes. Ces résultats négatifs n’ont pas été publiés : pour utiliser le mot de John, ils ont été « enterrés ».

Mais dans ce tas de résultats négatifs, le Seroquel faisait mieux sur quelques mesures de « fonctionnement cognitif » – une tâche d’attention, un test de mémoire verbale etc- . Ces résultats seuls ont été publiés (par Velligan et al en 2002) et le fait que les patients sous Seroquel avaient de moins bons résultats concernant leur schizophrènie n’y figuraient pas. Le papier de Velligan n’était pas un petit évènement : ce travail a eu une grosse influence sur la recherche avec plus de mille citations faites par d’autres articles scientifiques. Beaucoup de chercheurs rêvent de publier un travail aussi cité.

Pendant ce temps là, l’étude 15 a aussi montré que les patients sous Seroquel grossissaient en moyenne de 5 kilos par an, augmentant leurs risques de diabètes, ce que Astrazeneca doit maintenant gérer (et, dans n’importe quel cas, le gain de 5 kg est un sérieux effet secondaire).

Tous les médicaments ont des effets secondaires et la quetiapine n’est pas unique : les médicaments psychiatrique en particulier font globalement plus de bien que de mal , mais beaucoup d’entre eux ont aussi des effets secondaires sérieux et récurrents. Quand c’est le cas, il est très important que les médecins et les patients connaissent tous les risques afin de faire les compromis judicieux et biens informés.

Ce n’est que le premier paragraphe d’un mail sur les 100 qui parlent de la quetiapine. C’est sans fin : dans le document 13 de l’archive, Richard Lawrence a envoyé un note interne à ses collègues : « Lisa a fait du très bon travail avec ses écrans de fumée » sur l’essai 15. Il existe bien d’autres exemples sur ce cas.

Cette histoire n’est étonnamment pas étonnante. L’attitude de l’industrie pharmaceutique s’est transformé une triste farce. Les médecins et universitaires, qui devraient être contents de travailler avec eux pour développer de nouveaux traitements, en sont malades sachant que seuls des projets informels ou ad hoc utilisent les données « enterrés » et ont clairement échoué.

En 2005, le Comité International des Rédacteurs en Chef de Revues Médicales (ICMJE) a mis les pieds dans le plat et a déclaré que leurs journaux ne publieraient plus que des articles dont les essais seraient enregistrés avant même le début des recherches, ce qui devrait faciliter la recherche des données manquantes. Quelques années plus tard, nous pouvions lire dans Bad Science que la moitié des essais que les éditeurs du ICMJE publiaient était enregistrée  convenablement et qu’un quart n’était pas du tout publié.

Après que le mandataire de l’État de New York a poursuivi GlaxoSmithKline pour leur procès-verbal « illégal et mensonger » sur les risques de leur antidépresseur paroxetine (sous le nom commercial Seroxat), GSK fut d’accord pour publier les données d’essai sur leur site internet : mais cela n’est fait que par cette seule entreprise, et ça ne résout qu’une toute petite partie du problème. Le mois dernier, nous apprenions que GSK et la Food & Drug Administration (FDA) avaient découvert, des années après l’agrément du rosiglitazone (dont le nom commercial est Avandia), des données montrant qu’il augmentait les risques de problèmes cardiaques.

Cette semaine dans la revue scientifique en accès libre Trials, deux chercheurs ont présenté quelques idées de lois internationales essayant de combler ce vide juridique et d’empêcher l’industrie pharmaceutique d’enterrer des données dont les médecins ont besoin pour prendre des décisions importantes envers leurs patients. Cette initiative ne va pas assez loin. Toute entreprise qui enterre des données d’essais font du mal aux patients. Je ne comprends pas pourquoi un comité d’éthique laisserait une entreprise retenant des données conduire des études plus approfondies sur des humains. Je ne comprends pas pourquoi l’État n’imposerait pas des contraventions. J’espère que ce n’est que parce que les politiques ne comprennent pas l’importance des souffrances que cela entraîne.

Publié initialement sur Bad Science et The Guardian

Photo CC FlickR Sparky et Jussi Mononen

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http://owni.fr/2010/08/19/liberez-les-donnees-de-vos-experiences-2/feed/ 1
Libérez les données de vos expériences http://owni.fr/2010/08/19/liberez-les-donnees-de-vos-experiences/ http://owni.fr/2010/08/19/liberez-les-donnees-de-vos-experiences/#comments Thu, 19 Aug 2010 09:19:52 +0000 Ben Goldacre (trad. Martin Clavey) http://owni.fr/?p=25233

La semaine dernière, l’entreprise pharmaceutique AstraZeneca a payé 150 millions d’euros de dommages et intérêts pour stopper une action collective en justice (class action). Plus de 17 500 patients affirment que l’entreprise a retenu des informations montrant que la quetiapine, médicament traitant la schizophrénie (vendu sous le nom de Seroquel) [NDT: mais interdit en France], pouvait être la cause de diabètes. Mais pourquoi les entreprises payent avant le procès ?

Les litiges, entre autres bonnes choses, font sortir dans le domaine public certains documents. Grâce à ça, nous en savons un peu plus sur les plans diaboliques de l’industrie du tabac pour cibler les jeunes ou sur le faux journal académique que Elsevier a créé pour le département marketing de Merck, par exemple.

Un des documents les plus importants de l’industrie pharmaceutique révélé dans ce cadre traite de la quetiapine. Il se trouve maintenant dans une archive en ligne. Ce document est un email de John  Tumas, directeur des publications chez Astrazeneca, dans lequel il admet que tout ce que je dénonce sur mon blog et ailleurs depuis un moment, l’industrie pharmaceutique le fait.

« Laissez moi rejoindre la bagarre » commence John dans sa réponse à un collègue.  « Il y a eu un précédent jeu de données avant un tri sélectif. » Le tri sélectif de données, c’est quand on donne seulement les données à son avantage tout en enterrant les données qui pourraient nuire au patient. Les oreilles des avocats se dressent à chaque fois qu’une histoire de données sciemment ignorées par l’industrie pharmaceutique sort car cela implique quelque chose de délibéré. Il explique que le dernier tri sélectif a eu lieu au sujet « des données de l’essai 15 de la présentation de Velligan (un des essais enterrés) ».

L’essai 15 est un essai effectué par AstraZeneca, dont on a beaucoup parlé. Les patients schizophrènes en rémission étaient aléatoirement assignés à un groupe qui recevait soit la quetiapine de AstraZenece soit un ancien médicament moins cher, le Haloperidol. Après un an, les patients sous Seroquel allaient moins bien : ils ont eu plus de rechutes (ce qui est très important dans le monde réel) et de moins bons scores sur des échelles d’évaluation de l’intensité des symptômes. Ces résultats négatifs n’ont pas été publiés : pour utiliser le mot de John, ils ont été « enterrés ».

Mais dans ce tas de résultats négatifs, le Seroquel faisait mieux sur quelques mesures de « fonctionnement cognitif » – une tâche d’attention, un test de mémoire verbale etc- . Ces résultats seuls ont été publiés (par Velligan et al en 2002) et le fait que les patients sous Seroquel avaient de moins bons résultats concernant leur schizophrènie n’y figuraient pas. Le papier de Velligan n’était pas un petit évènement : ce travail a eu une grosse influence sur la recherche avec plus de mille citations faites par d’autres articles scientifiques. Beaucoup de chercheurs rêvent de publier un travail aussi cité.

Pendant ce temps là, l’étude 15 a aussi montré que les patients sous Seroquel grossissaient en moyenne de 5 kilos par an, augmentant leurs risques de diabètes, ce que Astrazeneca doit maintenant gérer (et, dans n’importe quel cas, le gain de 5 kg est un sérieux effet secondaire).

Tous les médicaments ont des effets secondaires et la quetiapine n’est pas unique : les médicaments psychiatrique en particulier font globalement plus de bien que de mal , mais beaucoup d’entre eux ont aussi des effets secondaires sérieux et récurrents. Quand c’est le cas, il est très important que les médecins et les patients connaissent tous les risques afin de faire les compromis judicieux et biens informés.

Ce n’est que le premier paragraphe d’un mail sur les 100 qui parlent de la quetiapine. C’est sans fin : dans le document 13 de l’archive, Richard Lawrence a envoyé un note interne à ses collègues : « Lisa a fait du très bon travail avec ses écrans de fumée » sur l’essai 15. Il existe bien d’autres exemples sur ce cas.

Cette histoire n’est étonnamment pas étonnante. L’attitude de l’industrie pharmaceutique s’est transformé une triste farce. Les médecins et universitaires, qui devraient être contents de travailler avec eux pour développer de nouveaux traitements, en sont malades sachant que seuls des projets informels ou ad hoc utilisent les données « enterrés » et ont clairement échoué.

En 2005, le Comité International des Rédacteurs en Chef de Revues Médicales (ICMJE) a mis les pieds dans le plat et a déclaré que leurs journaux ne publieraient plus que des articles dont les essais seraient enregistrés avant même le début des recherches, ce qui devrait faciliter la recherche des données manquantes. Quelques années plus tard, nous pouvions lire dans Bad Science que la moitié des essais que les éditeurs du ICMJE publiaient était enregistrée  convenablement et qu’un quart n’était pas du tout publié.

Après que le mandataire de l’État de New York a poursuivi GlaxoSmithKline pour leur procès-verbal « illégal et mensonger » sur les risques de leur antidépresseur paroxetine (sous le nom commercial Seroxat), GSK fut d’accord pour publier les données d’essai sur leur site internet : mais cela n’est fait que par cette seule entreprise, et ça ne résout qu’une toute petite partie du problème. Le mois dernier, nous apprenions que GSK et la Food & Drug Administration (FDA) avaient découvert, des années après l’agrément du rosiglitazone (dont le nom commercial est Avandia), des données montrant qu’il augmentait les risques de problèmes cardiaques.

Cette semaine dans la revue scientifique en accès libre Trials, deux chercheurs ont présenté quelques idées de lois internationales essayant de combler ce vide juridique et d’empêcher l’industrie pharmaceutique d’enterrer des données dont les médecins ont besoin pour prendre des décisions importantes envers leurs patients. Cette initiative ne va pas assez loin. Toute entreprise qui enterre des données d’essais font du mal aux patients. Je ne comprends pas pourquoi un comité d’éthique laisserait une entreprise retenant des données conduire des études plus approfondies sur des humains. Je ne comprends pas pourquoi l’État n’imposerait pas des contraventions. J’espère que ce n’est que parce que les politiques ne comprennent pas l’importance des souffrances que cela entraîne.

Publié initialement sur Bad Science et The Guardian

Photo CC FlickR Sparky et Jussi Mononen

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Mon médecin, l’Internet et moi: bilan de santé http://owni.fr/2010/08/05/mon-medecin-linternet-et-moi-bilan-de-sante-2/ http://owni.fr/2010/08/05/mon-medecin-linternet-et-moi-bilan-de-sante-2/#comments Thu, 05 Aug 2010 15:29:36 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=22402

Si le médecin est toujours la référence et la première source d’information en matière de santé, il doit désormais faire face à une concurrence en ligne. En effet, 7 Français sur 10 consultent Internet pour trouver des informations à propos de la santé. Depuis le milieu des années 2000, on observe un développement de ces sites à la qualité variable et dont les intérêts ne sont pas forcément ceux de l’internaute. Un terrain que les médecins français investissent avec timidité : selon Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) en charge des technologies de l’information et de la communication, il y aurait environs 2000 sites de médecins en France, un chiffre à rapporter aux plus de 200.000 praticiens en tous genres.

Cette  situation a été évoquée en mai dernier lors d’un débat organisé à l’initiative du Cnom, “L’évolution de la relation médecins-patients à l’heure d’Internet” [PDF], qui présentait entre autres les résultats d’une étude menée conjointement avec Ipsos. [PDF]

Une offre légale variée

Actuellement que peut trouver un internaute en matière de santé ? L’éventail est large. On pense immédiatement aux portails généralistes dont Doctissimo est le leader ou encore Atoute.org du docteur Dupagne qui propose essentiellement des forums. Mais il existe aussi des sites d’échanges entre patients, via par exemple des communautés rassemblées autour d’une pathologie (diabète, cancer…), des sites d’associations (Association Française des Malades de la Thyroïde, association des malades et opérés cardiaques…) et des sites de médecins. Enfin, on attend aussi le développement des Espaces numérique régionaux de santé (ENRS) entériné par la loi Hôpital, Patient, santé et territoire et testé par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Tous ces sites sont a priori neutres.

En revanche, la vente de médicaments en ligne demeure interdite en France à ce jour, bien que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, ait annoncé que cette vente puisse être envisagée pour certains médicaments vendus sans ordonnance.

Qui consulte internet sur les sujets santé ?

Les personnes qui recherchent de l’information sont plus souvent de femmes, encore en charge du secteur ’santé’ dans la famille. Les malades sont logiquement bien présents, ainsi que ceux qui cherchent un médecin ou un spécialiste. Mais comme on pourrait l’imaginer, les plus âgés sont les moins enclins à adopter cette pratique, avec une fracture générationnelle autour de la ligne des 65 ans. Enfin, si on trouve des hypocondriaques, ils n’ont pas attendu le web pour donner libre court à leur marotte (cf Le Malade imaginaire, 1673).

Le médecin est toujours le référent privilégié

"Je vous écoute".

L’étude Ipsos montre qu’Internet talonne maintenant le médecin comme source d’information principale, avec respectivement 64% et 89%. Cependant, Internet ne dispose pas du même crédit : parmi les sources d’information auxquelles les Français font le plus confiance (deux réponses à donner), on trouve en tête le médecin (90%) et le pharmacien (40%), Internet arrivant en troisième (17%). En ligne, on se renseigne avant tout sur une maladie ou ses symptômes (65%), un médicament ou un traitement médical (42%), des conseils pratiques pour rester en bonne santé (42%) et des témoignages d’autres patients (17%).

Une évolution jugée positive

Les patients pensent que  cette évolution de l’accès aux informations sur la santé est positive. En effet, toujours selon la même étude Ispos, “36% considèrent que les relations qu’ils entretiennent avec les médecins sont devenues plus constructives et basées sur le dialogue, et 30% qu’elles sont plus franches qu’auparavant”. Certaines pathologies, pour des raisons de pudeur, par exemple, seront abordées plus facilement caché derrière l’écran de l’ordinateur. Il n’est pas facile de dire à son médecin de famille qu’on a des problèmes d’érection.

Au cours du débat Gérard Raymond, président de l’association des diabétiques, a souligné que l’objectif des internautes “n’est pas d’en savoir autant que leur médecins” : il y a là-dedans du cliché vendu par les médias. Le docteur Lucas nous a précisé que cela concernait surtout le médecin généraliste, en pleine crise : “Jusqu’à présent il se vivait comme sachant tout, or cela ne marche plus ainsi.”

En revanche, les patients souhaitent “pouvoir faire confiance à leur médecin et mieux dialoguer”. Le médecin endosse désormais un nouveau rôle : faire le tri dans les informations que le patient a récupéré sur le Net. Le patient est désormais aussi “capable d’interpréter les mots du médecin. Il sera dès lors un patient plus actif et davantage acteur dans sa maladie. Cela constitue un virage majeur dans la relation médecin-patients.”

Il apparait aussi une attente envers le médecin : “62% des Français affirment qu’ils consulteraient le blog ou le site Internet de leur médecin si ce dernier venait à en ouvrir un. [...] 38% des Français qui n’utilisent actuellement pas Internet comme vecteur d’information médicale seraient enclins à se connecter pour visiter le blog ou le site de leur patient.”

Du côté des médecins, les points de vue divergent. D’une part, la fracture observée chez les patients aurait tendance à se retrouver aussi du côté des praticiens : après 55 ans, Internet est moins intégré dans leur pratique. Or, en moyenne, le corps professionnel a 50 ans. Le professeur Lucas explique que les “anciens” auraient tendance à mettre en avant les dangers de l’Internet, son aspect “sulfureux” en regrettant la période passée. Il rajoute aussi le manque de temps.

Un point de vue que Marie-Thérèse Giorgio, médecin du travail et présidente  de l’association Médecins Maîtres-toile (MMT) qui regroupe des médecins webmasters   depuis 1998, nuance en évoquant un de leurs webmasters qui a plus de 80 ans et une fracture numérique générationnelle en train de se réduire.

En outre, d’après un sondage évoqué lors du débat, “la grande majorité des professionnels de santé seraient favorables à l’idée de prescrire de l’information médicale” et selon le sondage Ipsos, lorsque le patient indique à son médecin qu’il consulte des sites d’information médicale, deux tiers des médecins réagissent positivement. Le docteur François Stefani a aussi insisté sur l’intérêt du web : “Certains patients n’ont pas l’habitude qu’on les écoute et ne savent pas quoi répondre quand le médecin leur dit : “je vous écoute”. Internet constitue un formidable outil pour initier ce dialogue.“Il a également évoqué la consultation par chat, qui permet au médecin de connaître les questions que [les patients] n’osent pas lui poser.” Nous sommes donc loin de la diabolisation et du rejet évoqués par le docteur Lucas.

Le problème de la qualité de l’information

Comme tout thème traité sur le web, la santé a droit à des fortunes diverses. Pour aider à faire le tri, il existe des certifications. En France, c’est la certification HON (Health On Net), gérée par une fondation basée à Genève, qui est chargée de les certifier depuis la loi de 2004. “Ce dispositif existait déjà, nous n’allions pas réinventer la roue”, nous a expliqué le docteur Lucas. Mais elle n’a pas un caractère obligatoire et repose sur le volontariat. En France, elle surveille 1.600 sites et en a certifié 900. En revanche, elle ne signale pas les sites sujets à caution car ce n’est pas légal, a précisé Célia Boyer, directrice exécutive de la Fondation.

Le site du ministère de la Santé est certifié HON.

Parmi ses critères, Health On Net cite “l’indication de l’origine des sources d’information, l’indication des références scientifiques, la date de rédaction des articles, le but du site, le respect de la confidentialité, le financement et la différenciation entre la politique éditoriale du site”. Health On Net “évalue le contenu du site et s’assure qu’il ne délivre pas des messages publicitaires déguisés.”

Mais elle suscite des réserves. Pour  Marie-Thérèse Giorgio, “Il parait impossible de certifier le contenu, et des sites ont été certifiés HON sans qu’il semble qu’ils le méritent. Le docteur Dupagne [membres de MMT, ndlr] s’en est détaché, d’autres devraient le faire je ne vous le cache pas.” Dans un post assez cinglant, ce docteur s’en prenait à plusieurs points de la charte :

“Le point 5 n’est pas évident : justifier les bienfaits des produits présentés’. Le terme est vague, n’importe quelle enquête ou étude scientifique bidon peut être présentée comme une justification. Le sceau HONcode pourrait laisser penser à un lecteur naïf que tout ce qu’il va lire est validé. Or mieux vaut une information publicitaire que le lecteur sait décoder, qu’une information fausse labellisée à tort comme exacte.

Le point 6 est démodé et ambigu. Le professionnalisme veut-il dire que seuls les médecins peuvent écrire sur la santé ? Qu’un blogueur n’a pas le droit d’être anonyme ? Les blogueurs anonymes et/ou non professionnels sont parmi les meilleurs auteurs médicaux.

Les points 7 et 8 constituent le nerf de la guerre et ce sont eux qui posent le plus de problèmes. Les sites tenus par des gourous ou des illuminés ne constituent pas le principal danger sur la toile médicale. Ceux qui posent problème sont les sites commerciaux déguisés.”

La certification de Doctissimo, par exemple, ne fait pas l’unanimité : “Enfin, il est question dans les médias que Doctissimo obtienne le HONcode, ce qui serait le pompon. Malgré tout le respect que j’ai pour la réussite financière de ce site, la publicité est tellement bien intégrée au contenu qu’elle en devient parfois indiscernable.”

Capture d'écran de la HP de Doctissimo le 22 juillet dernier. Derrière la publicité, vous trouverez de l'information médicale.

Marie-Thérèse Giorgio complète : “Le site a mis plus d’une année à l’obtenir et Célia Boyer, directrice exécutive de HON, est consciente que ça ne fait pas l’unanimité et indique que la fondation peut  retirer la certification à tout moment“. “En plus la situation de cette certification reste ambiguë, ajoute la présidente de MMT, Doctissimo a annoncé qu’il l’avait [sur la partie éditoriale, ndlr] mais que, pour des raisons techniques, elle n’était pas présente sur le site [elle n'est toujours pas visible actuellement, ndlr]. Elle est en effet hébergée chez HON pour en garder le contrôle, or cela ferait tomber leurs serveurs en raison du trafic élevé“. Le docteur Lucas estime lui aussi que “la certification HON n’est pas très regardante”.

Ce qui ne veut pas dire que les contenus en eux-mêmes soient douteux : les bases de Doctissimo ont été jugés bonnes par les médecins que nous avons interrogés. Aux origines du site, il y a d’ailleurs deux médecins et l’équipe comprend des médecins journalistes et des journalistes scientifiques. Contacté à plusieurs reprises, Doctissimo n’a jamais donné suite à nos demandes d’entretien.

Une certification mal connue

De toute façon, encore faut-il que les internautes sachent que la certification HON existe. En effet, si 12 % des Français ne consultent que des sites certifiés, 71% des personnes consultant des sites sur la santé disent ne pas être capable de faire la différence entre les sites certifiés et les autres. Or, on peut y voirune certaine naïveté puisque 74% considèrent que l’information sur le Net est fiable. Célia Boyer souligne que “l’internaute néophyte en matière de santé sur Internet n’est pas conscient de la qualité des informations qu’il y trouve.”

En matière de fiabilité, il faut aussi souligner que le domaine de la santé n’échappe pas à une règle générale du web : l’autorégulation. “Lorsqu’il y a des aberrations, une personne normale les repère, de même que les trolls”, note le docteur Lucas. Le problème, entre autres, ce sont les personnes malades en position de fragilité psychologique, plus enclines à croire ce qui leur tombe sous la souris. De plus, les parties dynamiques -forum, chats…- sont évidemment plus difficiles à contrôler.

Le web social, ce douloureux problème

Dernier point et non des plus faciles, l’intégration de la dimension sociale du web. Sur ce point, les avis divergent, entre ceux qui ne souhaitent pas investir ce champ et ceux qui au contraire estiment qu’il faut y aller car les patients y sont. On constate déjà que des patients demandent à être “ami” avec leur médecin. MMT administre cent-dix sites, des blogs, des pages Facebook (dont la leur, à la timide trentaine de membres) et tweetent aussi.

Si investir le web est devenu un passage aussi obligé que le vaccin anti-tétanos, ses modalités restent donc encore à préciser et améliorer. Comment s’attaquer avec intelligence aux problèmes évoqués ? Échange de points de vue dans la suite de notre dossier.

J’arrête le HONcode (1) par le docteur Dupagne ; Le site de HONcode ; le site de l’AQIS (Association pour la Qualité de l’Internet Santé)

Le site de Médecins Maîtres-toile ; le blog de Denise Silber, consultante e-santé

Image CC Flickr SanforaQ8 et Seattle Municipal Archives

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Mon médecin, l’Internet et moi: bilan de santé http://owni.fr/2010/08/05/mon-medecin-linternet-et-moi-bilan-de-sante/ http://owni.fr/2010/08/05/mon-medecin-linternet-et-moi-bilan-de-sante/#comments Thu, 05 Aug 2010 15:29:36 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=22402

Si le médecin est toujours la référence et la première source d’information en matière de santé, il doit désormais faire face à une concurrence en ligne. En effet, 7 Français sur 10 consultent Internet pour trouver des informations à propos de la santé. Depuis le milieu des années 2000, on observe un développement de ces sites à la qualité variable et dont les intérêts ne sont pas forcément ceux de l’internaute. Un terrain que les médecins français investissent avec timidité : selon Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) en charge des technologies de l’information et de la communication, il y aurait environs 2000 sites de médecins en France, un chiffre à rapporter aux plus de 200.000 praticiens en tous genres.

Cette  situation a été évoquée en mai dernier lors d’un débat organisé à l’initiative du Cnom, “L’évolution de la relation médecins-patients à l’heure d’Internet” [PDF], qui présentait entre autres les résultats d’une étude menée conjointement avec Ipsos. [PDF]

Une offre légale variée

Actuellement que peut trouver un internaute en matière de santé ? L’éventail est large. On pense immédiatement aux portails généralistes dont Doctissimo est le leader ou encore Atoute.org du docteur Dupagne qui propose essentiellement des forums. Mais il existe aussi des sites d’échanges entre patients, via par exemple des communautés rassemblées autour d’une pathologie (diabète, cancer…), des sites d’associations (Association Française des Malades de la Thyroïde, association des malades et opérés cardiaques…) et des sites de médecins. Enfin, on attend aussi le développement des Espaces numérique régionaux de santé (ENRS) entériné par la loi Hôpital, Patient, santé et territoire et testé par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Tous ces sites sont a priori neutres.

En revanche, la vente de médicaments en ligne demeure interdite en France à ce jour, bien que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, ait annoncé que cette vente puisse être envisagée pour certains médicaments vendus sans ordonnance.

Qui consulte internet sur les sujets santé ?

Les personnes qui recherchent de l’information sont plus souvent de femmes, encore en charge du secteur ’santé’ dans la famille. Les malades sont logiquement bien présents, ainsi que ceux qui cherchent un médecin ou un spécialiste. Mais comme on pourrait l’imaginer, les plus âgés sont les moins enclins à adopter cette pratique, avec une fracture générationnelle autour de la ligne des 65 ans. Enfin, si on trouve des hypocondriaques, ils n’ont pas attendu le web pour donner libre court à leur marotte (cf Le Malade imaginaire, 1673).

Le médecin est toujours le référent privilégié

"Je vous écoute".

L’étude Ipsos montre qu’Internet talonne maintenant le médecin comme source d’information principale, avec respectivement 64% et 89%. Cependant, Internet ne dispose pas du même crédit : parmi les sources d’information auxquelles les Français font le plus confiance (deux réponses à donner), on trouve en tête le médecin (90%) et le pharmacien (40%), Internet arrivant en troisième (17%). En ligne, on se renseigne avant tout sur une maladie ou ses symptômes (65%), un médicament ou un traitement médical (42%), des conseils pratiques pour rester en bonne santé (42%) et des témoignages d’autres patients (17%).

Une évolution jugée positive

Les patients pensent que  cette évolution de l’accès aux informations sur la santé est positive. En effet, toujours selon la même étude Ispos, “36% considèrent que les relations qu’ils entretiennent avec les médecins sont devenues plus constructives et basées sur le dialogue, et 30% qu’elles sont plus franches qu’auparavant”. Certaines pathologies, pour des raisons de pudeur, par exemple, seront abordées plus facilement caché derrière l’écran de l’ordinateur. Il n’est pas facile de dire à son médecin de famille qu’on a des problèmes d’érection.

Au cours du débat Gérard Raymond, président de l’association des diabétiques, a souligné que l’objectif des internautes “n’est pas d’en savoir autant que leur médecins” : il y a là-dedans du cliché vendu par les médias. Le docteur Lucas nous a précisé que cela concernait surtout le médecin généraliste, en pleine crise : “Jusqu’à présent il se vivait comme sachant tout, or cela ne marche plus ainsi.”

En revanche, les patients souhaitent “pouvoir faire confiance à leur médecin et mieux dialoguer”. Le médecin endosse désormais un nouveau rôle : faire le tri dans les informations que le patient a récupéré sur le Net. Le patient est désormais aussi “capable d’interpréter les mots du médecin. Il sera dès lors un patient plus actif et davantage acteur dans sa maladie. Cela constitue un virage majeur dans la relation médecin-patients.”

Il apparait aussi une attente envers le médecin : “62% des Français affirment qu’ils consulteraient le blog ou le site Internet de leur médecin si ce dernier venait à en ouvrir un. [...] 38% des Français qui n’utilisent actuellement pas Internet comme vecteur d’information médicale seraient enclins à se connecter pour visiter le blog ou le site de leur patient.”

Du côté des médecins, les points de vue divergent. D’une part, la fracture observée chez les patients aurait tendance à se retrouver aussi du côté des praticiens : après 55 ans, Internet est moins intégré dans leur pratique. Or, en moyenne, le corps professionnel a 50 ans. Le professeur Lucas explique que les “anciens” auraient tendance à mettre en avant les dangers de l’Internet, son aspect “sulfureux” en regrettant la période passée. Il rajoute aussi le manque de temps.

Un point de vue que Marie-Thérèse Giorgio, médecin du travail et présidente  de l’association Médecins Maîtres-toile (MMT) qui regroupe des médecins webmasters   depuis 1998, nuance en évoquant un de leurs webmasters qui a plus de 80 ans et une fracture numérique générationnelle en train de se réduire.

En outre, d’après un sondage évoqué lors du débat, “la grande majorité des professionnels de santé seraient favorables à l’idée de prescrire de l’information médicale” et selon le sondage Ipsos, lorsque le patient indique à son médecin qu’il consulte des sites d’information médicale, deux tiers des médecins réagissent positivement. Le docteur François Stefani a aussi insisté sur l’intérêt du web : “Certains patients n’ont pas l’habitude qu’on les écoute et ne savent pas quoi répondre quand le médecin leur dit : “je vous écoute”. Internet constitue un formidable outil pour initier ce dialogue.“Il a également évoqué la consultation par chat, qui permet au médecin de connaître les questions que [les patients] n’osent pas lui poser.” Nous sommes donc loin de la diabolisation et du rejet évoqués par le docteur Lucas.

Le problème de la qualité de l’information

Comme tout thème traité sur le web, la santé a droit à des fortunes diverses. Pour aider à faire le tri, il existe des certifications. En France, c’est la certification HON (Health On Net), gérée par une fondation basée à Genève, qui est chargée de les certifier depuis la loi de 2004. “Ce dispositif existait déjà, nous n’allions pas réinventer la roue”, nous a expliqué le docteur Lucas. Mais elle n’a pas un caractère obligatoire et repose sur le volontariat. En France, elle surveille 1.600 sites et en a certifié 900. En revanche, elle ne signale pas les sites sujets à caution car ce n’est pas légal, a précisé Célia Boyer, directrice exécutive de la Fondation.

Le site du ministère de la Santé est certifié HON.

Parmi ses critères, Health On Net cite “l’indication de l’origine des sources d’information, l’indication des références scientifiques, la date de rédaction des articles, le but du site, le respect de la confidentialité, le financement et la différenciation entre la politique éditoriale du site”. Health On Net “évalue le contenu du site et s’assure qu’il ne délivre pas des messages publicitaires déguisés.”

Mais elle suscite des réserves. Pour  Marie-Thérèse Giorgio, “Il parait impossible de certifier le contenu, et des sites ont été certifiés HON sans qu’il semble qu’ils le méritent. Le docteur Dupagne [membres de MMT, ndlr] s’en est détaché, d’autres devraient le faire je ne vous le cache pas.” Dans un post assez cinglant, ce docteur s’en prenait à plusieurs points de la charte :

“Le point 5 n’est pas évident : justifier les bienfaits des produits présentés’. Le terme est vague, n’importe quelle enquête ou étude scientifique bidon peut être présentée comme une justification. Le sceau HONcode pourrait laisser penser à un lecteur naïf que tout ce qu’il va lire est validé. Or mieux vaut une information publicitaire que le lecteur sait décoder, qu’une information fausse labellisée à tort comme exacte.

Le point 6 est démodé et ambigu. Le professionnalisme veut-il dire que seuls les médecins peuvent écrire sur la santé ? Qu’un blogueur n’a pas le droit d’être anonyme ? Les blogueurs anonymes et/ou non professionnels sont parmi les meilleurs auteurs médicaux.

Les points 7 et 8 constituent le nerf de la guerre et ce sont eux qui posent le plus de problèmes. Les sites tenus par des gourous ou des illuminés ne constituent pas le principal danger sur la toile médicale. Ceux qui posent problème sont les sites commerciaux déguisés.”

La certification de Doctissimo, par exemple, ne fait pas l’unanimité : “Enfin, il est question dans les médias que Doctissimo obtienne le HONcode, ce qui serait le pompon. Malgré tout le respect que j’ai pour la réussite financière de ce site, la publicité est tellement bien intégrée au contenu qu’elle en devient parfois indiscernable.”

Capture d'écran de la HP de Doctissimo le 22 juillet dernier. Derrière la publicité, vous trouverez de l'information médicale.

Marie-Thérèse Giorgio complète : “Le site a mis plus d’une année à l’obtenir et Célia Boyer, directrice exécutive de HON, est consciente que ça ne fait pas l’unanimité et indique que la fondation peut  retirer la certification à tout moment“. “En plus la situation de cette certification reste ambiguë, ajoute la présidente de MMT, Doctissimo a annoncé qu’il l’avait [sur la partie éditoriale, ndlr] mais que, pour des raisons techniques, elle n’était pas présente sur le site [elle n'est toujours pas visible actuellement, ndlr]. Elle est en effet hébergée chez HON pour en garder le contrôle, or cela ferait tomber leurs serveurs en raison du trafic élevé“. Le docteur Lucas estime lui aussi que “la certification HON n’est pas très regardante”.

Ce qui ne veut pas dire que les contenus en eux-mêmes soient douteux : les bases de Doctissimo ont été jugés bonnes par les médecins que nous avons interrogés. Aux origines du site, il y a d’ailleurs deux médecins et l’équipe comprend des médecins journalistes et des journalistes scientifiques. Contacté à plusieurs reprises, Doctissimo n’a jamais donné suite à nos demandes d’entretien.

Une certification mal connue

De toute façon, encore faut-il que les internautes sachent que la certification HON existe. En effet, si 12 % des Français ne consultent que des sites certifiés, 71% des personnes consultant des sites sur la santé disent ne pas être capable de faire la différence entre les sites certifiés et les autres. Or, on peut y voirune certaine naïveté puisque 74% considèrent que l’information sur le Net est fiable. Célia Boyer souligne que “l’internaute néophyte en matière de santé sur Internet n’est pas conscient de la qualité des informations qu’il y trouve.”

En matière de fiabilité, il faut aussi souligner que le domaine de la santé n’échappe pas à une règle générale du web : l’autorégulation. “Lorsqu’il y a des aberrations, une personne normale les repère, de même que les trolls”, note le docteur Lucas. Le problème, entre autres, ce sont les personnes malades en position de fragilité psychologique, plus enclines à croire ce qui leur tombe sous la souris. De plus, les parties dynamiques -forum, chats…- sont évidemment plus difficiles à contrôler.

Le web social, ce douloureux problème

Dernier point et non des plus faciles, l’intégration de la dimension sociale du web. Sur ce point, les avis divergent, entre ceux qui ne souhaitent pas investir ce champ et ceux qui au contraire estiment qu’il faut y aller car les patients y sont. On constate déjà que des patients demandent à être “ami” avec leur médecin. MMT administre cent-dix sites, des blogs, des pages Facebook (dont la leur, à la timide trentaine de membres) et tweetent aussi.

Si investir le web est devenu un passage aussi obligé que le vaccin anti-tétanos, ses modalités restent donc encore à préciser et améliorer. Comment s’attaquer avec intelligence aux problèmes évoqués ? Échange de points de vue dans la suite de notre dossier.

J’arrête le HONcode (1) par le docteur Dupagne ; Le site de HONcode ; le site de l’AQIS (Association pour la Qualité de l’Internet Santé)

Le site de Médecins Maîtres-toile ; le blog de Denise Silber, consultante e-santé

Image CC Flickr SanforaQ8 et Seattle Municipal Archives

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