OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “J’ai été animatrice de Minitel rose” http://owni.fr/2012/06/28/jai-ete-animatrice-de-minitel-rose/ http://owni.fr/2012/06/28/jai-ete-animatrice-de-minitel-rose/#comments Thu, 28 Jun 2012 15:08:02 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=114583 animatrice" minitel rose.]]>

France Telecom a décidé de débrancher le minitel ce 30 juin 2012. En 2011, 420 000 personnes “seulement” se sont connectées, contre 25 millions à son apogée. 3615 Ulla, la plus connue des messageries roses, totalise encore 21 000 connexions par mois, contre 2 millions il y a 10 ans.

Je n’ai pas travaillé pour Ulla, mais pour un de ses concurrents. J’ai plusieurs fois eu l’occasion d’en parler autour de moi, et les réactions amusées de ceux à qui j’expliquais comment je me faisais passer pour JFbi21ans, et/ou Jacqueline69 me poussent à faire ce “coming out” télématique. C’était il y a près de 20 ans, j’avais besoin d’argent, c’était un petit job pour étudiant, ça m’a permis de faire mes premiers pas sur les réseaux (en étant payé pour communiquer), et même si ce n’était pas très bien payé, j’ai vraiment beaucoup appris.

J’avais quatre ou cinq minitel devant moi afin de pouvoir mener autant de “chats” en simultané. J’avais un minitel dédié aux scénarios coquins -ou messages généraux- que j’envoyais à l’ensemble des connectés (qui pensaient, pour la plupart, que je ne discutais qu’avec eux, en privé), et je me servais des quatre autres minitel pour avoir des conversations individualisées, notamment pour ceux qui avaient l’impression de ne discuter qu’avec des “animatrices” ou des robots. J’ai fait ça pendant un peu plus de 6 mois, et ce fut… passionnant, vraiment.

Je ne vendais pas mon corps, mais mes mots

J’y ai d’abord appris à taper sur un clavier (discuter en temps réel avec des dizaines de gens sur cinq minitel en même temps, ça vaut tous les cours de secrétaire), mais aussi et surtout que la “télématique“, les réseaux, le “virtuel“, c’est pas une question de tuyaux ni de technologie : ça sert aussi, d’abord et avant tout à connecter des êtres humains entre eux (même s’ils avaient l’impression de causer avec JFbi21ans ou Jacqueline69 :~). D’aucuns l’ont découvert avec le web2.0, moi, ce fut avec le minitel rose, au milieu des années 90.

J’ai ainsi pu “discuter” avec beaucoup de vigiles, qui s’ennuyaient, la nuit, mais également avec des cadres supérieurs qui, eux, se connectaient à 6h du matin en arrivant au bureau, en passant par des ados-nymphos mal dans leur peau, des mythos, une nana uro qui “polluait” notre forum, un dominateur qui, pensant écrire à une femme et alors que je ne suis ni homo ni sado-maso, avait quand même réussi à me “séduire“… ou encore ce type, ordurier, violent, qui me parlait comme une chienne, qui visiblement était mal dans sa peau, et qui m’a expliqué au bout de 3/4h qu’il était désolé de m’avoir parlé ainsi mais que sa fille venait de se faire renverser par une auto.

Une bonne partie des connectés m’abordaient de façon quelque peu cavalière : “ça va salope ?” ou “tu suces ?” en guise de bonjour, ce qui avait le don de m’énerver. Je prenais ensuite un malin plaisir à les envoyer bouler (“c’est comme ça que tu dis bonjour aux dames ?” ou, quand j’étais vraiment énervé, “et toi, tu broutes, connard ?“), ce qui avait plein d ‘avantages. Un : ça défoule. Deux : le type était persuadé que j’étais vraiment une femme. Trois : on pouvait commencer à discuter, et je pouvais donc les garder connectés sur le 3615 encore plus longtemps, et donc leur faire raquer plus d’argent.

Le business plan, à l’époque, c’était déjà l’”économie de l’attention“, et j’étais une sorte d’”attention whore” (“prostituée de l’attention” en VF) qui faisait, non pas le trottoir dans les tuyaux, mais l’hôtesse sur les réseaux. Sauf que je ne vendais pas mon corps, mais mes mots, et que je ne supportais pas les plans cu-cul à la papa, et encore moins les machos men.

Mon chef, qui était homo et avait à peu près autant de psychologie féminine qu’une huître asséchée, nous engueulait quand on commençait à discuter, en “one to one“, avec les connectés. Il voulait qu’on leur balance des scénarios salaces, qu’on fasse des strip tease, qu’on leur propose des pipes et des éjac’ faciales, à grand coup de “Oh ouiiiii ! Encore ! Je Jouiiiis !“. Résultat : les mecs se pignolaient, et en quelques minutes l’affaire était réglée. C’était de l’abattage, j’aimais pas ça.

Je préférais prendre le temps de causer avec les gars, comprendre ce qu’ils voulaient, qui ils étaient, ce qui les faisaient fantasmer, tenter de répondre à leurs désirs, histoire de faire prolonger le plaisir, surtout avec les gros cons. Plus ils se comportaient comme des mufles, plus ils étaient grossiers, goujats ou mal élevés, plus je prenais plaisir à les garder connectés avec moi, histoire de faire grimper leur facture, mais également de résister à l’image qu’ils se faisaient des femmes. Ce doit être mon côté cyber-féministe

Résultat : je ne compte même plus le nombre de types qui m’ont abordé en me traitant de “salope“, et avec qui on finissait par causer de la pluie et du beau temps, de leur boulot, de leur (ex) nana… Je pense que c’est comme avec les prostituées : ils venaient aussi et surtout pour parler.

Confessions de hackers

Je n’avais pas encore assez d’argent pour acheter un ordinateur et me payer un abonnement à Internet, mais je pense que cette expérience, la violence et la richesse des rapports humains auxquels j’ai été confronté, m’a beaucoup appris. Tout d’abord sur les êtres humains (et les fantasmes masculins), mais également sur ce qu’allait devenir Internet, et donc le fait qu’il permet certes à des machines de communiquer, mais aussi et surtout à faire se rencontrer des gens qui, sans cela, n’auraient jamais pu communiquer, n’auraient jamais pu se croiser, ni confronter leurs points de vue.

Le plus drôle, c’est qu’à l’époque, les femmes à qui je racontais que j’étais donc payé pour faire fantasmer des hommes, en me faisant passer pour des femmes, étaient plutôt séduites par ma façon de le faire… ou en tout cas d’en parler. Et j’aimais bien en parler, tellement je trouvais cette expérience enrichissante. Je suis tout sauf un dragueur, mais paradoxalement, parler de mon boulot d’animatrice minitel rose était une super technique de drague.

Depuis, je suis devenu journaliste, sur Internet, et je ne regrette pas ces premiers pas, même si j’aurais aimé pouvoir débuter ma vie numérique sur Internet plutôt que sur un Minitel rose. J’ai depuis rencontré des gens formidables, qui m’ont permis d’approfondir ma compréhension des réseaux, à commencer par Laurent Chemla, qui avait été poursuivi pour “vol d’électricité” lorsqu’il avait piraté un serveur Minitel, et dont les Confessions d’un voleur sont l’un des textes les plus brillants que j’ai pu lire au sujet d’Internet et de ce que les gens peuvent y faire, #oupas (voir aussi sa récente et excellente conférence sur les voleurs 2.0).

Et si vous m’avez lu jusque là, je pense que vous seriez aussi intéressé par la brillante conférence de Benjamin Bayart, intitulée Internet libre, ou Minitel 2.0 ? (voir l’interview qu’il avait accordé à ce sujet à Ecrans.fr : « Tout le monde a intérêt à transformer Internet en Minitel »), et que je me fais un plaisir de partager : une ex-animatrice de minitel rose qui fait le lit du président du plus ancien des fournisseurs d’accès à Internet français, ça le fait.

Pour en parler, je vous invite à La Cantine, qui organise un évènement ce vendredi 29 juin 2012, “Minitel : La dernière séance – “Rendez-vous à jamais”, avec Laurent Chemla, Benjamin Bayart, mais également Louis Pouzin, considéré comme l’un des pionniers d’Internet, Michel Landaret, pionnier du Minitel et qui racontera notamment comment le piratage de son serveur a inventé l’Internet social, et préfiguré les messageries instantanées, et Christian Quest, qui racontera les aventures des premiers hackers du Minitel.

JFbi21ans (entre autres), aka @manhack, & Jean-Marc Manach.


Voir aussi Bye, fantasmeur !, témoignage très touchant de OnDebranche, ainsi que celui d’un autre animateur qui, lui, a fait ce boulot pendant 8 ans.

Illustration : capture d’écran d’une version de Justine de Sade réalisée pour le minitel, et qui fut censurée par le Comité de la Télématique Anonyme en 1990. Déjà, à l’époque, il se trouvait des gens qui voulaient censurer le Minitel :

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Le Minitel, soutien de la presse http://owni.fr/2011/03/27/le-minitel-soutien-de-la-presse/ http://owni.fr/2011/03/27/le-minitel-soutien-de-la-presse/#comments Sun, 27 Mar 2011 14:02:39 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=53435 Comme toutes les bonnes idées en France, le Minitel est une idée d’Alain Minc. Parce que même si on n’a pas de pétrole… En 1977, le brillant inspecteur des finances remet à Valéry Giscard d’Estaing un rapport sur l’informatisation de la société co-écrit avec Simon Nora.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Valéry Giscard d’Estaing est convaincu et charge une équipe de mettre en oeuvre l’informatisation. En 1980, une première expérimentation a lieu à Saint-Malo avec l’annuaire électronique. Puis en 1981 en Ille-et-Vilaine. C’est un succès. Le Minitel propose l’affichage d’une base de données chez l’utilisateur. Oh ! Un écran qui affiche des informations? Concurrence déloyale selon la presse. Ouest-France publie d’ailleurs au lendemain de l’expérimentation une tribune intitulée “L’information ne peut être traitée comme une marchandise“. Face à la presse craintive, les PTT choisissent donc de créer un kiosque de services qui leur sera réservé.

La presse sous perfusion

En 1985, le 3615 est lancé. Une taxation arrière: la révolution. Le revenu de la connexion, environ 10 francs la minute, est redistribué à France Telecom et au fournisseur de service. Et tout est facturé en fin de mois. Le plus important, c’est que le “code” ne peut être attribué qu’aux entreprises de presse. C’est la naissance de la vache à lait pour de nombreux groupes de médias. Parce que le Minitel, ça rapporte ! Et pas seulement le Minitel Rose. En 1995, plus de 24 000 services co-existent. La météo, les courses, la vente à domicile, les rencontres, les résultats du bac… Tous les services existants aujourd’hui sur Internet existaient déjà sur le Minitel.

Surtout qu’il est intéressant de noter que, de la même manière que Ségolène Royal a inspiré la campagne en ligne de Barack Obama, le Minitel a permis aux États-Unis en 1994 de développer les autoroutes de l’information. Effectivement, tous ces services ont convaincu Al Gore, alors vice-président, de se lancer dans l’aventure.

Revenons au 3615. L’affaire est tellement rentable que fleurissent partout ces préfixes préfigurant la bulle “.com”. N’importe quel commerce ajoutait les chiffres magiques pour exposer au monde son niveau de modernité. Phénomène d’ailleurs très bien illustré par Les Deschiens et leur 3615 Qui n’en veut ou la perpétuation de l’expression “3615 ma vie” pour se moquer gentiment des gens un peu trop diserts sur leur vie personnelle.

Fructueuses rencontres

Les stars de ces années Minitel sont sans conteste les messageries coquines. Le “sex chat” serait la première chose que feraient des adultes arrivant sur un nouveau medium. Ces messageries “conviviales” pour reprendre les termes du sénateur Louis Souvet en 1989 sont des vrais moyens de gagner de l’argent. N’en déplaise d’ailleurs à Gérard Longuet qui déplore de voir le fleuron télématique se transformer dans “un usage qui le situe dans la grande tradition des Folies-Bergère !”. Claude Perdriel, patron du Nouvel Observateur, et les autres minitelo-millionaires le comprennent vite. Il fonde 3615 ALINE et le fameux 3615 ULLA. Sur le Minitel Rose, il s’agit de faire rester les gens le plus longtemps possible. Tous les moyens sont bons. Il fallait garder le poisson sur l’hameçon. Lui inventer des fantasmes. Toujours revenir à la charge. Les hôtesses avec 4 ou 5 minitels sous les doigts, enchaînant les conversations avec les vigiles et les patrons.

Des initiatives assez intéressantes sont imaginées, comme par exemple un “film” relatant les péripéties de Justine d’après une œuvre du Marquis de Sade. Il fut vendu à de nombreux codes avant de subir les foudres de la censure.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Toujours d’attaque

Mais l’intéressant, c’est qu’aujourd’hui le Minitel n’est pas mort. Il est plus rentable que le web et reçoit encore de nombreuses connexions. Tout d’abord parce qu’il résiste mieux aux attaques du temps. Ensuite parce qu’il héberge de nombreuses applications professionnelles très utilisées, comme une bourse de fret par exemple. Enfin, il est beaucoup plus stable. Un père de famille confiait que c’était le meilleur moyen d’avoir les résultats du bac. La page qui se charge petit à petit. Beaucoup plus efficace que les serveurs surchargés sur l’Internet. Le Minitel n’est qu’un moniteur branché à des machines centralisées. Ce qui fait dire à des spécialistes, que si France Telecom n’a pas fermé le service d’ici là, le Minitel s’arrêtera vers 2012. Car les tube cathodiques ont une durée de vie de 30 ans et que plus aucun moniteur n’est fabriqué aujourd’hui.

Du cul télématique oui, mais de la politique aussi: rappelons notamment que grâce à Félix Guattari et 3615 ALTER, le Minitel a également permis de coordonner le mouvement de grèves des étudiants en 1986 et celui des infirmières en 1988. Internet n’à qu’à bien se tenir !

Article initialement lu durant la #NuitSujet

Illustrations CC FlickR: Bernard Marty, antjeverena et perolofforsberg

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