Le Monde: “censure de mon époque”

Le 30 juin 2010

Alors que le feuilleton du rachat du Monde vient de s'achever, Didier Lestrade explique avec force vitriol que depuis trente ans, il ne se retrouve plus dans un titre dépassé, poussiéreux et mollasson.

Vous savez quoi ? Je n’ai jamais aimé Le Monde. J’ai voulu écrire ça depuis toujours et je me sens déjà mieux. Avec tout ce bordel actuel sur le combat entre les moguls et les industriels pour sauver le « grand quotidien français », j’aimerais exprimer mon humble dégoût face à tout ça.

Jamais venu au Monde

Les convoyeurs de fond sont là et ils sont prêts à verser leurs millions d’euros. Tout ça pour un journal qui a toujours été laid. La maquette du Monde a beau avoir été refaite plusieurs fois en trois ans, cela ne me va toujours pas et surtout, ça ne m’a pas fait oublier les décennies pendant lesquelles ce journal était sans photo, avec une typo de débile, une maquette de neuneus étudiants d’école de commerce, avec des articles de bourges et des sujets de bourges et des angles de reportage de bourges.

Quand j’étais jeune, c’était soit travailler pour Libération ou rien. Surtout pas pour Le Monde. Ça m’aurait arraché la gueule et les doigts des pieds d’écrire sur la musique pour des vieux qui sont tous restés au jazz – et encore. Mais ça m’aurait encore plus écoeuré de le faire pour un média sans illustration, juste parce que c’était comme ça depuis la deuxième guerre mondiale sans avoir le côté classe des journaux sans photo. Pas d’image. Dans un monde où l’image a toujours primé. Dès le début des années 80, l’image avait déjà dépassé l’écrit et ce journal a mis de loooooongues années pour l’admettre.

Pour moi, Le Monde symbolise tout ce qui cloche en France. Absolument tout. Ce sont des gens que j’ai boycotté toute ma vie, et oui, on a le droit de boycotter quelqu’un ou un pays, et si je réfléchis bien, il n’y a personne dans mon entourage qui se retrouve dans ce journal. On dirait que je fais patrie d’une catégorie sociale française qui a été séparée du Monde à la naissance. Je n’ai rien attendu de ce journal parce que je crois qu’il y a une incompatibilité dès le départ. La preuve, c’est que je collectionne des tonnes d’articles de presse depuis des années – et je n’ai pratiquement rien du Monde.

“Une France en noir et blanc”

Puisque je m’amuse ici aussi, je voudrais insister sur la laideur de l’objet. Pour moi, c’est un constat total, définitif. Cette France en noir et blanc que je n’ai pas arrêté de critiquer se délecte ici dans un style d’écriture que je trouve en plus bancal. Finalement, tout ça est mal écrit, ça manque de rythme et de style personnel, c’est faussement sérieux et pas très à niveau sur de nombreux thèmes. Par exemple, pour reprendre une formule, sur les sujets que je connais bien, Le Monde n’est pas moyen, il est nul.

Les pédés ? Jamais un article qui va au fond du sujet, à cause de leur panique irraisonnée autour du « communautarisme ». C’est comme s’il fallait prendre des pincettes et des précautions sur les gays, c’est épuisant. Et tout ça grâce à des bataillons de journalistes au placard. Et quand ils ne le sont pas… Si vous croyez que Caroline Fourest va satisfaire notre soif de vérité, c’est vraiment mal nous connaître. C’est une caution qui n’en est pas une.

La musique ? Attendez, je m’étouffe de rire. La house et la techno vus sous l’angle de l’anthropologie prise de très loin… Quand on a vu Whatsisname faire des papiers sur la house et débarquer dans les raves avec le bus des journalistes, on rigolait tous. Un bourge total qui débarque dans un hangar rempli de mecs arrachés à l’exta et qui…. prend des notes. Le hip hop ? Je crois pas qu’ils sachent encore ce que c’est vraiment, il faudra 2 ans pour qu’ils remarquent le dernier album de Drake. Ils ont été tellement contents de trouver le slam comme une alternative.

Le sida ? Non mais vraiment. Pendant 20 ans, on s’est fadé tous les éditoriaux et prises de parole de tous les présidents de Aides et ce fut à chaque fois le mauvais message, par la mauvaise personne, au mauvais moment. De la guimauve. Quand on était à Act Up et qu’on lisait un truc sur le sida dans Le Monde, ça nous tombait des mains tellement c’était off center. Toujours la position la plus molle, la plus consensuelle, la plus idiote en fait. Le Monde était le reflet des institutions, c’était exactement ce que l’on cherchait à réformer.

Pour rien au Monde

Libé a été brillant, mais Le Monde a toujours été terne. Et si vieux ! Mon dieu, la vieillesse de ces gens ! 83 ans and still counting ! Ils utilisent encore des expressions du genre « faire florès » ou le pire, « nonobstant » un peu comme Libé qui nous sort encore des titres avec « Le haricot vert mangetout : combien de divisions ? ». On peut arrêter avec les clichés linguistiques d’il y a 10 ans ? C’est du niveau des Inrocks, pas d’un quotidien ! Et le délire politico-financier qui pèse sur cette affaire de sauvetage, ça ne serait pas la matérialisation de la bêtise de ce quotidien ?

Regardez les prétendants. Jusqu’au dernier moment, s’accrocher à la bouée empoisonnée. Cette course au fric pour les échéances de 2012 en plein Mondial, c’est tellement la gerbe que tout le monde voit à travers, c’est d’une limpidité complète. Et il faudrait défendre ces journalistes qui nous vendent de la culture de riches (la musique classique) pour les beaufs de l’Education nationale et je te parle du slam avec des trémolos dans le clavier de l’ordi, et que je te bassine pendant tout l’été avec les festivals d’art vivant !

C’est affligeant de voir que mon rythme cardiaque s’accélère dès que mes mains s‘approchent du New York Times ou du Guardian. Alors que lorsque je prends mon train de Paris pour rentrer chez moi, je passe devant le Relais de Montparnasse et la Une du Monde est là et je dors déjà. Zzzzzzz. Je sais déjà ce qu’il y a dedans. C’est un journal dans lequel il n‘y a rien qu’on ait envie de découper. Ou de relire. Ou de signaler à un copain. C’est blank.

Je n’ai jamais eu l’impression que mon agenda politique était visible dans les pages du Monde. Je fais partie des outcasts duMonde et il y en a beaucoup dans ce pays. On ne les intéresse pas parce qu’on n’a pas fait les mêmes études et on n’a pas la même place dans la société. Il y a du dédain et du mépris dans Le Monde. Il y a même une bonne dose de menticide.

Nous savons tous ce qu’il faut faire pour publier un point de vue dans les pages du Monde. Il faut une connexion avec quelqu’un d’abject. Il ne travaille pas forcément au Monde, c’est un go between. Et c’est pour ça que vous n’avez pas de texte d’Akhenaton dans Le Monde.

Un Monde de retard

Après l’élection de Mitterrand, en 1981, je travaillais dans un hôtel et le seul quotidien que la direction distribuait à ses clients, c’était Le Figaro. À cette époque, Le Figaro était vraiment atroce, idéologiquement et esthétiquement. C’était la voix de l’anti-socialisme. C’était un journal cheap à regarder, même si le supplément faisait 450 reportages par an sur les Maldives. En 30 ans, tout le monde reconnaît désormais que Le Figaro, à droite, fait un meilleur travail que Le Monde. Et je suis de gauche, hein.

Nous sommes face à la plus grande crise économique depuis des décennies, les gens sont en train de hurler aux quatre coins du monde, BP inonde les océans de pétrole, Gaza est toujours sous le siège, Jérusalem est découpé en zoning, l’Europe se déchire, c’est la Gay Pride dans quelques jours (eeeeek) et que se passe-t-il en France ? On nous emmerde avec le « sauvetage » du Monde. Vous croyez vraiment que Le Monde va aider à la résolution de ces problèmes ? Si vous le croyez, vous êtes encore plus stupides que moi et vous méritez d’être transporté sur le champ dans un ashram cauchemardesque dont l’emploi du temps serait mis au point par Carla Bruni, Arielle Dombasle et une autre starlette de ce genre. Je n’ai vraiment pas peur de m’aliéner une équipe journalistique au complet.

Je n’ai aucune connaissance dans ce média. Je suis déjà aliéné par ces gens. Ils censurent mon travail mais surtout mon époque. Tout ça pour 2012.

__

Billet originellement publié sur le blog de Didier Lestrade, sous le titre “Je déteste le Monde“.

Crédits Photo CC Flickr : Cayusa, Nicolas Bal.

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés