Médecine du travail, burqa et autres victimes d’une semaine d’enfumage

Le 18 septembre 2010

La prestidigitation est un art de la diversion : mettez dans la lumière la main droite, parlez de votre main droite, personne ne regardera votre main gauche, ni ce qu’elle fait. Plus la diversion est éloignée de ce qu’elle cache, plus l’effet est remarquable. Selon ses critiques, George W. Bush aurait attiré le regard des [...]

La prestidigitation est un art de la diversion : mettez dans la lumière la main droite, parlez de votre main droite, personne ne regardera votre main gauche, ni ce qu’elle fait. Plus la diversion est éloignée de ce qu’elle cache, plus l’effet est remarquable. Selon ses critiques, George W. Bush aurait attiré le regard des Américains jusqu’en Irak pour ne plus parler des problèmes qui se posaient dans son pays. En élève modèle des Etats-Unis, Nicolas Sarkozy importe, à son échelle, cette technique efficace. Car le battage médiatique autour de l’expulsion des Roms n’est que la circulaire qui cache le projet de loi.

Le discret démantèlement de la médecine du travail

Lundi 13 septembre, l’actualité n’est qu’à l’indignation d’une inconnue, Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice et aux Droits fondamentaux, qui se scandalise de ce document qui se concentre sur une population en fonction de son origine ethnique, « une honte » répète-t-elle à tous les micros. Plutôt que de calmer le jeu, Pierre Lellouche, envoyé le lendemain (14 septembre) à Bruxelles, jette de l’huile sur le feu, en rajoute une couche le 15 sur RTL, suivi par Chantal Brunel, qui raille la Luxembourgeoise et son petit pays, puis toute la majorité…

… une polémique assez forte pour pousser de la première place des JT et des unes la colère des députés d’opposition et, surtout, le rassemblement sur le pont en face de l’Assemblée nationale organisé par les syndicats. Là, les quelques milliers de manifestants n’enrayent en rien l’adoption de la réforme des retraites. Réforme des retraites dans laquelle le gouvernement a subréptiscement glissé le 8 septembre (lendemain de la manif) l’amendement 730 qui abroge deux articles du droit du travail. Ses conséquences ? « La destruction de la médecine du travail », résument les syndicats.

« Le gouvernement nous avait promis un texte de loi après la réforme des retraites et un débat, nous avons eu un amendement redoutable à la place, récapitule Bernard Salengro, secrétaire national CFE-CGC pour la branche médecine du travail. Il supprime la lutte contre l’altération de la santé des salariés comme mission de la médecine du travail, ouvre ces fonctions à des non-médecins (infirmières, etc.) et donne l’autorité au patron. Le conflit d’intérêt que cet amendement instaure est nuisible aussi bien à la reconnaissance qu’à la prévention des maladies professionnelles. »

Appelés « cavaliers », ces amendements sans rapport avec les lois sur lesquels ils portent sont une méthode bien connue pour éviter le débat : pour avoir les discussions que la question méritaient selon eux, les syndicats frappent désormais à la porte des sénateurs, « nous irons au conseil constitutionnel s’il le faut », prévient même Salengro. Sous le feu nourrie des polémiques entre la France et l’UE, d’autres débats n’ont pas eu cette chance d’être tenu avant leur passage au Sénat.

Au Sénat, la suspension des allocs et la loi contre la burqa passent par Roms

Personne n’était devant le Palais du Luxembourg à 14h30 le 15 septembre. Et pourtant, sous la présidence de Catherine Tasca s’y discutait le vote du projet de loi « lutte contre l’absentéisme scolaire ». Loi évoquée par Nicolas Sarokzy lors de son discours de Tremblay-en-France, prévoyant la suspension des allocations familiales aux parents dont les gosses séchaient un peu trop les cours. Une initiative qui avait largement fait parler d’elle lors de son adoption à l’Assemblée nationale le 29 juin dernier. Dans le vacarme des engueulades entre Paris et la Commission, le second vote fut indolore. Pas même ponctué par le rappel des conclusions de Jean-François Mattei, ministre de la Santé du gouvernement Raffarin, qui avait décidé en 2004 la suspension du projet de loi prévoyant les mêmes sanctions… pour cause  « d’inefficacité et d’inéquité ».

Idem pour la loi contre le port de la burqa : sous l’élégante formule de « Projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public », le débat fut mené à son terme au Sénat le 14 septembre. Trop occupé par la stigmation des Roms, l’arène publique n’avaient plus la place pour cette autre polémique. Un calme dont se félicitait justement Jean-Louis Masson, député non inscrit, bien que clairement favorable au virage sécuritaire de la majorité :

« lorsque l’on traite des problèmes de sécurité, il conviendrait d’éviter les polémiques systématiques et de se dispenser de toute gesticulation politicienne, recommandait le sénateur de Moselle en séance. Cela vaut pour le débat sur la burqa, mais je pense aussi à la politique du Gouvernement, politique que je soutiens par ailleurs, visant à expulser des gens qui n’ont rien à faire sur notre territoire. En revanche, il n’est pas nécessaire que le Président de la République ou certains ministres gesticulent à tout va et ameutent les foules pour annoncer l’affrètement de charters ! »

Or, là où M. Masson se trompe, c’est que ce sont précisément ces gesticulations qui ont permis, en quelques minutes d’échange, d’expédier des mois de débat.

À côté de ces trois questions qui auraient mérités la place publique, notre attention a probablement laissé filer d’autres mesures. Nous laissons nos lecteurs et nos confrères remplir les vides, ici ou ailleurs. Mais, au delà du petit jeu de décryptage politique, ces adoptions ne sont pas que des tours de passe-passe politiciens. Le démantèlement sauvage de la médecine du travail revient sur un acquis du Conseil national de la résistance, devenu essentiel dans l’accélération d’une société productiviste gênée par les limites mécaniques de salariés que les cadences usent.

Mais cette accumulation de petits ajustements fera à l’arrivée un gros bilan, celui-là même dont Nicolas Sarkozy se prévaudra au moment d’entrer en course pour 2012. Elu en 2007 sur la rengaine du « je fais ce que je dis, je dis ce que je fais », le Président n’aura pour défendre sa réélection qu’à afficher la liste de ses réalisations, où l’on découvrira certainement d’autres mesures votées à la chandelle un jour d’inattention. « Et vous voulez laissez la gauche détruire tout ça », dira-t-il pour répondre à l’opposition. Comme de grands enfants déçus, tout le monde regrettera d’avoir trop regarder la main qui bougeait dans la lumière pendant que l’autre nous piquait nos droits.

Crédits Photo CC Flickr : Jolipunk, Terreta, Ma Gali.

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