Paris, l’arme secrète de Kadhafi

Le 4 mars 2011

Dès 1999, bien avant la levée de l'embargo sur les armes de 2004, le groupe Thales a négocié des ventes d'armes avec le colonel Kadhafi. Une enquête OWNI.

Officiellement, aucun pays d’Europe n’a cherché à vendre des armes à la Libye avant la levée de l’embargo par l’Union Européenne, le 14 octobre 2004. Mais des documents obtenus par OWNI.fr révèlent que la France, de son côté, a cherché à fournir des matériels de guerre à Tripoli longtemps avant cette décision, en 1999. En toute discrétion. Et donc en contradiction avec les résolutions internationales de l’époque.

Cette découverte tranche avec les récents propos du porte-parole du ministère de la Défense, Laurent Teisseire. Qualifiant d’ « extrêmement mineure », la coopération entre les deux pays dans le domaine de l’armement, lors d’un point presse du 24 février dernier. À en croire ses déclarations, cette relation industrielle remonterait à 2007.

Les procès-verbaux de réunions que nous avons obtenus décrivent pourtant des discussions secrètes tenues les 13 et 14 février 1999, à Tripoli, entre les représentants du groupe d’armement français Thales (dénommée Thomson-CSF à cette époque) et l’état-major militaire du Colonel Kadhafi.

Le gouvernement Jospin

Comme le précise le document ci-dessus, les réunions ont été organisées « avec l’autorisation du gouvernement français », à l’époque dirigé par le socialiste Lionel Jospin, Premier ministre, avec Alain Richard au ministère de la Défense. Et elles se sont déroulées en présence de Jean-Paul Perrier, président de Thales International, la filiale chargée des exportations. Ainsi que du général Abdel Rahman Esseed. Cet officier supérieur de l’armée libyenne dirigeait alors le département chargé des acquisitions ; avec pour principale préoccupation d’obtenir des pièces détachées de nature à maintenir à niveau les différents régiments, malgré l’embargo qui frappait la Libye.

À cette période, les militaires du régime libyen exprimaient surtout le désir de mettre leur équipement aérien à niveau. À ce titre, ils demandaient à Thales de moderniser les systèmes électroniques des Mirages F1 (du groupe Dassault) acquis jadis à la France.

Ventes d’armes

Une requête qui sera effectivement satisfaite. Les appareils de ce type en service dans l’armée de l’air libyenne ont été rénovés par Thales. En 1999, le calendrier de ces tractations secrètes suivait de près l’évolution des procédures judiciaires menées à Paris dans le cadre de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, perpétré dix ans plus tôt. Elles intervenaient en effet à la veille de la condamnation de la Libye pour cet acte terroriste. Le 10 mars 1999, la Cour d’Assises de Paris reconnaissait la responsabilité de l’État libyen et de plusieurs agents de renseignement libyen dans l’organisation de cet attentat. Les familles des victimes savaient ainsi à quoi s’en tenir.

L’une d’elles en tirait les conséquences juridiques qui s’imposaient et le 15 juin 1999 déposait une plainte visant directement le Colonel Kadhafi. Comme commanditaire de l’attentat. Le parquet de Paris s’opposera avec constance à ce nouveau développement, et après plusieurs années de querelles de procédure, la plainte sera écartée par la Cour de cassation, en mars 2001. Dès janvier 2004, quelques mois avant la fin de l’embargo, Thales et la Libye donneront un contour un peu plus officiel à leurs relations, comme le montre le procès-verbal de cet autre entretien.

Cette antériorité dans les négociations explique peut-être l’accueil chaleureux que réservera un an plus tard le colonel Kadhafi à la ministre française de la Défense Michèle Alliot-Marie. Lors d’un déplacement effectué à Tripoli en février 2005. Dans son très bon « Armes de corruption massive », sorti ces jours-ci aux éditions La Découverte, le journaliste Jean Guisnel décrit la scène, à laquelle il a assisté. Le colonel Kadhafi salue la ministre et s’enquiert illico de la forme de son mari, Patrick Ollier. Lobbyiste des intérêts libyens à Paris et actuel ministre chargé des relations avec le Parlement.

Contactés dans le cadre de cet article, ni le groupe Thales ni le ministère des Affaires Étrangères n’ont répondu à nos questions.

Crédits photos CC FlickR jmiguel.rodriguez

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