Sarkozy mauvais emploi

Le 22 février 2012

Selon Le Véritomètre i>TÉLÉ OWNI, les chiffres utilisés par Nicolas Sarkozy sur l'emploi et le chômage sont truffés d'erreurs. Le Président sortant a fait de l'emploi et de la formation professionnelle des chômeurs une des thématiques phares de sa campagne. Sur la base de données assez déformées.

En lançant sa campagne sur la thématique du chômage, Nicolas Sarkozy s’est davantage inspiré des chiffres des sondages sur les préoccupations des Français plutôt que des statistiques les plus sérieuses du ministère de l’Emploi.

Dès sa déclaration de campagne au 20 heures de TF1, Nicolas Sarkozy a dégainé un chiffre-ritournelle, déjà présent dans son interview au Figaro Magazine du 11 février et depuis réutilisé à la tribune de son premier discours de campagne à Annecy le 16 février :

Aujourd’hui, il y a seulement 10 % des chômeurs qui sont en formation.

S’appuyant sur ce propos pour justifier sa première proposition importante sur la formation des chômeurs, le président-candidat surestime en fait lourdement les chiffres réels : selon l’organisme statistique du ministère du Travail (la Dares),  les dernières études disponibles comptabilisent seulement 8 % de demandeurs d’emploi en formation pour l’année 2009, soit une marge d’erreur de 20 % (cliquez dans les graphes ci-dessous pour les agrandir).

Une donnée un peu datée, elle remonte à 2009, mais c’est la dernière à avoir été publiée. Nicolas Sarkozy semble défier ce chiffre de 8% en affirmant à Annecy qu’ “à la minute où [il] vous parle” il représenterait 10%.

Soit le Président balance avec une assurance de bateleur une grossière approximation. Soit il a eu accès à des données non encore publiées, et donc soumises aux règles légales du secret statistique (garantissant l’équité des candidats et des citoyens devant l’information), avant de les étaler l’air de rien en meeting.

Nicolas Sarkozy aborde donc le thème de l’emploi en insistant d’abord sur la faible proportion de chômeurs en formation, avec des chiffres contestables, pour ensuite stigmatiser le coût de cette formation. Mais là aussi, dans le deuxième volet de son argumentaire, les chiffres se révèlent erronés.

Sarkozy se contredit de 5 milliards

Dès son interview donnée au Figaro Magazine le 11 février, il affirme :

Chaque année, 30 milliards d’euros sont consacrés à la formation professionnelle. Cet argent peut être et doit être mieux utilisé.

Cependant, une semaine plus tard, lors du discours d’Annecy, le même chiffre s’est effondré :

C’est une véritable révolution dans l’indemnisation du chômage qui ne sera possible que si notre système de formation professionnelle est complètement remis à plat. Mes chers amis, 25 milliards d’euros dépensés chaque année auxquels personne ne comprend plus rien, c’est un chantier immense qui va s’ouvrir.

Une correction inutile puisque, comme nous le confirme la Dares (tableau I), le bon chiffre (31,315 milliards d’euros en 2009) était bien plus proche de la première citation !

Cet indicateur biaisé se rapproche néanmoins de quelque chose : il s’agit en fait des dépenses de formation professionnelle pour le secteur privé uniquement (25,264 milliards en 2009), excluant les six milliards de budget alloués par la fonction publique à la formation de ses agents.

Mais l’erreur (consciente ou non) ne se limite pas au chiffre. Globalement, en mettant en parallèle la réforme de la formation des demandeurs d’emploi et le budget total de formation professionnelle, Nicolas Sarkozy forme un pont entre deux rives bien lointaines.

Si dans son discours les deux sont systématiquement associés, les dépenses de l’État pour la formation des demandeurs d’emplois ne représentaient en 2009 que 863 millions d’euros sur 7,963 milliards au total, tous publics confondus – l’État ne prend donc en charge que 10,9 % de ce budget1.

Un chiffre par ailleurs en baisse de 5,9 % sur l’année. La majeure partie du budget formation de l’État demeure celui destiné aux jeunes (apprentissage, professionnalisation, accompagnement et insertion) précédant l’aide à la formation continue des salariés du public (2,9 milliards en 2009) et celle aux salariés du privé (1,37 milliard).

Désengagement

Or, le rôle de l’Etat est minoritaire dans le financement des stages de formation des demandeurs d’emploi : selon la base BREST de la Dares (p.2), seuls 12 % des stages pour les chômeurs sont financés par des budgets de l’État, contre 15 % par le Pôle emploi et surtout 62 % par les régions.

Depuis la décentralisation en 2004, ce sont trois fois moins de demandeurs d’emplois d’emploi qui bénéficient d’un financement d’État : de 256 760 au moment de la réforme, nous sommes passés à 68 151 en 2009. Une baisse maigrement contrebalancée par la montée en charge du Pôle emploi dans ce domaine, de 8 à 15 % des stages financés.

Ce transfert vers les collectivités territoriales n’a cependant pas été compensé par le soutien aux structures locales. Bien au contraire. L’avis de la Commission aux affaires sociales du Sénat sur le projet de loi de finances 2012 du Sénat note dans son volet « Travail et emploi » une action de sape budgétaire caractérisée :

Le projet de loi de finances pour 2011 prévoyait, initialement, de réduire de près de moitié les crédits alloués par l’Etat aux maisons de l’emploi (53 millions contre 95,5 millions en 2010). Des amendements parlementaires ont cependant atténué cette baisse et fixé la dotation à 77,4 millions d’euros. Le projet de loi de finances pour 2012 propose à nouveau une forte diminution des crédits destinés aux maisons de l’emploi (38 %).

Créé par le gouvernement Fillon en fusionnant l’Unedic et les Assedic, le Pôle emploi n’a pour sa part pas connu de baisse significative de ses moyens mais une stagnation. Le chômage, en revanche, a connu une hausse violente suite à la crise. Une conjonction relevée par ce même avis de la Commission aux affaires sociales :

Le nombre de chômeurs a augmenté de 30 % depuis la crise, sans que les moyens de Pôle emploi ne soient renforcés. De ce fait, l’opérateur n’a pu maintenir la qualité de service que les usagers sont en droit d’attendre en matière d’accompagnement et d’aide à la recherche d’emploi.

Or, comme en 2010 et 2011, la dotation de l’Etat s’établira pour l’année 2012 à 1,36 milliards d’euros. Des réalités comptables qui représentent le bilan du quinquennat en matière d’emploi.


illustrations et couverture par Marion Boucharlat et Ophelia Noor pour Owni

Retrouvez le Véritomètre i>TELE OWNI sur itele.owni.fr

  1. selon les données présentées par le “jaune” de l’annexe du Projet de loi de finances pour 2012, tirées de la Dares, p.32 []

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