OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Nucléaire: le nuage de la peur http://owni.fr/2011/03/23/nucleaire-le-nuage-de-la-peur/ http://owni.fr/2011/03/23/nucleaire-le-nuage-de-la-peur/#comments Wed, 23 Mar 2011 11:47:57 +0000 Marc Dugain http://owni.fr/?p=52832 Un quotidien gratuit titrait hier matin :

Le nuage de la peur.

Ce nuage, on l’a compris, c’est le nuage qui vient du Japon chargé d’éléments radioactifs. La peur se vend bien, médiatiquement aussi bien que politiquement. Mieux que le compassionnel.

En politique on commence par faire peur pour rassurer ensuite. Enfin, essayer de rassurer. On l’a vu sur l’insécurité, on fait campagne sur le thème en inquiétant l’électeur. Mais si une fois élu, on ne parvient pas à le rassurer, on se retrouve avec un gros transfert de voix sur l’extrême droite. Dans les médias, la peur est à ce jour une des meilleures accroches possibles car la peur et le besoin de savoir sont indissolublement liés.

Pas de peurs sans experts

Revenons à ce fameux nuage. Pour les experts, il est ridiculement peu dangereux, sauf s’il comporte de l’uranium, auquel cas un cancer broncho-pulmonaire pourrait se déclarer en quelques semaines chez toute personne ayant inhalé quelques molécules même infimes de ce nuage. Pas de peurs sans experts. Les experts sont largement employés par les médias pour pallier leur ignorance légitime dans des domaines très pointus, et le nucléaire en est un. Mais ils ont une autre fonction qui est de maintenir le suspens en entretenant leur notoriété personnelle et des polémiques sans fin. Au final, le consommateur de médias ne sait ni ce qu’il risque, ni comment s’en protéger.

Sauf quand ils cherchent à inquiéter à des fins électorales, les politiques ont intérêt à être rassurants. Et rassurants ils le sont, comme ils l’ont été au moment de l’explosion de la centrale de Tchernobyl, c’est-à-dire sans la moindre crédibilité. Si l’explosion nippone doit avoir des conséquences sur notre santé, cela ne sera globalement pas avant quelques années, et dans le temps politique, quelques années c’est très loin. Alors que reconnaître dès aujourd’hui que la population qu’ils sont censés materner est touchée, cela pourrait être grave pour 2012.

Se volatiliser comme les grands reptiliens ?

Sans parler de l’énorme intérêt représenté par le nucléaire, en particulier en France. Les défenseurs du nucléaire ont pris un peu de plomb dans l’aile ces dernières semaines. Heureusement pour eux, le soulèvement des pays arabes et ses conséquences sur le prix du baril de pétrole ont permis de montrer s’il en était encore besoin, que les énergies fossiles n’ont plus d’avenir politique. Mais finalement la seule vraie question qui tienne la distance c’est de savoir si pour accompagner un mode de développement résolument matérialiste, nous allons devoir continuer à développer des systèmes de production d’énergie qui peuvent potentiellement nous faire disparaître comme espèce.

La probabilité de se volatiliser d’une explosion nucléaire est aussi faible que celle qu’ont connu les grands reptiliens de s’éteindre à cause d’une explosion volcanique ou d’une chute de météorite. Et pourtant c’est ce qui leur est arrivé. Quel dommage ce serait de perdre l’être humain, la seule espèce pensante connue dans l’univers. Mais qui ne pense pas assez pour transformer en énergie pacifique et renouvelable, un formidable sens de l’intérêt qui ne s’épuise pas avec les siècles, ni sa capacité à faire surgir d’énormes contradictions, qui, recyclées, pourraient produire un combustible inépuisable.

Crédits Photo FlickR CC : nicholas_t / Binuri Ranasinghe

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Qui a encore peur de la musique techno ? http://owni.fr/2010/10/19/qui-a-encore-peur-de-la-musique-techno/ http://owni.fr/2010/10/19/qui-a-encore-peur-de-la-musique-techno/#comments Tue, 19 Oct 2010 13:20:33 +0000 Florian Pittion-Rossillon http://owni.fr/?p=27144 Florian officie la nuit sous le nom de Dj Speedloader, et écrit sur le blog Culture Dj.

Le rock en tant que culture, c’était du prêt-à-penser pour les baby-boomers de la génération consommation. La Techno en tant que musique, c’est l’étendard du fun dans une société post-triste. On aimerait s’y rallier dans une ferveur prophylactique. Mais voilà, on ne peut pas.

A la fin des années 80, il est de bon ton d’en rire après l’avoir affublée d’un « musique de pédés » sans appel. Au milieu des années 90, s’inscrivant dans le temps et s’arrogeant une popularité croissante, elle fait peur. Au début des années 2000, la Techno, devenu réservoir à fantasmes, voit les édiles organiser promptement sa cérémonie funèbre : le « retour du rock ». Parce que le format groupe / couplet-refrain / album / concert-qui-se-termine-tôt, c’est forcément mieux.

Le DJ est devenu une figure populaire, trop bien pour les meufs.

Est-ce que les BB Brunes, The Gossip et les Libertines ont libéré la France de l’angoisse qui poigne ses entrailles à chaque évocation du Mot ? La Techno fait-elle (encore et toujours) peur ?
Moins ! Car elle s’est banalisée.

- Après 25 ans dans le paysage, elle profite de l’effet « on-s’habitue-à-tout ».
- Le DJ est devenu une figure populaire, généralement affublée des valeurs de sympathie, fun, mode, trop bien pour les meufs.
- Les sonorités électroniques dansantes sont partout, de la musique de publicité à la pop de jeune fille à frange.
- La Techno a libéré les danseurs occasionnels de la honte d’avoir à effectuer des pas de danse imités d’un film ou d’un clip.

Les sonorités électroniques dansantes – boucles, beats – sont utilisées partout : pop, R&B, hip-hop

Mais toujours trop ! Car la France a peur.
- Après 25 ans dans le paysage, la Techno pâtit de l’effet « free party », dont l’ampleur en France la distingue de ses voisins européens
- Le DJ est devenu une figure populaire, souvent raillée, car bien peu de gens savent ce qu’il fait vraiment quand il n’a pas les bras en l’air.
- Les sonorités électroniques dansantes – boucles, beats – sont utilisées partout : Pop, R&B, Hip-Hop, mais signalées nulle part. Moderne ingratitude.
En France, Techno rime toujours avec malentendu. La réunion de conditions propices à son développement, grâce à l’expansion de la culture New Clubbing, n’y suffit pas : subsiste un goulet d’étranglement. Tentative de détection.

La Techno peine à faire reconnaître sa viabilité économique

Dans l’écosystème Techno, tout se joue sur le dancefloor. Tout s’y passe, tout en vient. A la base de la pyramide : les DJ bars. Puis, en montant : les clubs (le cœur de l’offre), les raves/events, et les festivals.

En France, la Techno peine à faire reconnaître sa viabilité économique car son circuit de diffusion physique est déséquilibré et rachitique. Il y a très peu d’évènements et de festivals, et les clubs qui tournent, au cœur de l’offre, sont peu nombreux. Par conséquent, les dernières années ont vu une scène Techno essayant de se développer par le point d’entrée le plus accessible, les bars.

Or, quel que soit leur équipement et leur communication, ils ne pourront jamais prétendre proposer un niveau d’ambiance équivalent à celui des clubs, et a fortiori des évènements. Les bars, c’est bien pour les before, et pour que les DJ débutants se fassent la main. Jamais ils ne rendront la nuit magique. Les bars sont une fausse piste.

Les angoisses gauloises, nourries de récits apocalyptiques de free parties saccageuses de pâturages.

Alors, lestée d’énormes contraintes, anémiée par la rareté des fondamentaux, la scène française est fertile en épiphénomènes et en figures extra-Techno (David Guetta, Justice, Daft Punk, à la Techno ce que les Beatles étaient au rock : une gentille initiation) constituant la marge d’un épicentre que l’on aimerait voir croître enfin.

Les associations, cœur et poumon de la scène Techno française.

L’éco-système Techno français, dynamique mais peu structuré, peinant à se doter d’évènements très visibles, souffre par suite d’un déficit de représentation médiatique. D’où la persistance des angoisses gauloises, nourries de récits apocalyptiques de free parties saccageuses de pâturages.
Les observations qui précèdent ne diminuent en rien le travail héroïque des associations, cœur et poumon de la scène Techno française.

Associations qui, malgré le coût exorbitant des lieux, les pressions subies pour tapage nocturne (accentuées par la législation sur la cigarette imposant au public de fumer dans la rue si le lieu n’a pas de fumoir), et la concurrence des DJ bars ayant reconverti leurs caves en piste de danse, continuent d’animer nos nuits.
Les observations qui précèdent ne diminuent en rien le travail courageux des clubs et lieux qui maintiennent des programmations audacieuses, drôles, innovantes, ou alors simplement distrayantes. L’entertainment n’est pas honteux.

L’arrivée de professionnels de la communication et du spectacle

Il reste que pour que la France arrive à vaincre sa peur de la Techno, il faudra que celle-ci réussisse son intégration économique à grande échelle. Celle-ci passe par la viabilisation d’une économie des clubs, raves/events et festivals. Et donc par un afflux massif de professionnels de la communication et du spectacle dans la conception et la promotion d’évènements Techno. La décennie 2010 sera celle de la rencontre entre son potentiel mal connu et une économie des clubs basée sur des modèles à renouveler. Espoir !
A suivre donc :
- La Techno, quel potentiel pour quel bénéfices ?
- Les clubs, quels modèles pour quel avenir ?

En gardant en tête que pour la Techno, tout se joue sur le dancefloor.

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Cet article a été initialement publié sur Culture DJ

Crédits photo Flickr CC : iamdonte, little_fella_dynamics

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L’avenir m’effraie et m’excite http://owni.fr/2010/09/11/l%e2%80%99avenir-m%e2%80%99effraie-et-m%e2%80%99excite/ http://owni.fr/2010/09/11/l%e2%80%99avenir-m%e2%80%99effraie-et-m%e2%80%99excite/#comments Sat, 11 Sep 2010 15:55:37 +0000 Thierry Keller, Blaise Mao et Jérôme Ruskin (Usbek & Rica) http://owni.fr/?p=27893 A l’occasion de la sortie du dernier numéro d’Usbek & Rika, notre dossier s’enrichit d’un texte inédit coécrit par Thierry Keller (rédacteur en chef), Blaise Mao (rédacteur en chef adjoint) et Jérôme Ruskin (fondateur).


Tremblements

A ma « gauche », la peur. Ce sentiment terrible de vertige qui s’empare de moi quand il me prend l’envie masochiste de regarder le JT, d’ouvrir un journal ou tout simplement de marcher dans la rue les yeux grands ouverts. Peur de contracter la grippe A quand le quidam en face de moi éternue, peur de la refiler à mes enfants. Peur aussi de me faire vacciner, et de vraiment l’attraper, car on nous ment, le gouvernement a besoin de froussards comme moi pour écouler ses doses. Peur de rentrer chez moi par le dernier RER. Peur de traverser le quartier qui craint après 21 heures. Si je suis une femme, peur d’attirer le regard salace de la bande de racailles (avant, on disait loubards) qui squattent le hall. S’habiller en mec. Avoir l’air méchant.

N’ayez pas peur !

Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance

Peur du déclassement. Peur des courriers officiels. Celui du DRH arrivé sur mon bureau ce matin : entretien préalable au licenciement. Celui de l’agence immobilière : loyers en retard. Mes parents, qui sont caution – à mon âge, quelle honte – vont décacheter la lettre d’huissiers. Peur du coup de fil anonyme de 9 heures du matin. « Bonjour, ici madame Lathune, du CIC. Dites, il y a un souci sur votre compte, un chèque se présente et je n’ai pas la provision ». Brûlure à l’estomac. Peur primale.

Peur de voyager. Et si l’avion n’arrivait jamais à destination ? Mon corps calciné dans l’Atlantique. Mon nom en italique dans « Le Parisien », ma concierge témoigne. Et si j’arrive à destination, qui me garantit que je ne finirai pas en mille morceaux dans une discothèque à Bali, un bus à impériale sur Picadilly Circus ? Broyé dans un tsunami. Attaqué par des pirates au large de la Somalie. Enlevé dans le sud algérien. Egorgé par des fous de Dieu quelque part au Moyen-Orient, ma mort sur Internet, 3 millions de pages vues.

Peur du collège de mon secteur. Seulement 65% de réussite au brevet des collèges. Arabe première langue. Ma fille qui devient gothique, adepte de la vodka-pomme et du jeu du foulard. Elle compile des images de sexe hardcore sur Youporn. Elle veut rester dormir chez son petit ami. Dormir ?

Peur de l’eau du robinet, bourrée de phosphates. Peur des conservateurs chimiques dans mes céréales du matin (il paraît qu’en Occident, les macchabés brûlent moins vite qu’en Inde, à cause de tous les conservateurs ingurgités durant une vie entière).

Peur du réchauffement climatique, de la fonte des glaces, Paris sous la flotte, la prophétie maya, le jour d’après, « La route » de Mac Carthy.

Ma vie n’est que peur. Et je ne suis pas parano. Tout ce qu’on dit est vrai.

Celui qui ne s’est pas libéré de ses liens du sang et du sol n’est pas encore complètement né en tant qu’être humain.

Erich Fromm, Société aliénée et société saine

Cheveux longs

A ma droite, la liberté. Mes pulsions de liberté. Je me laisse pousser les cheveux. La barbe aussi, c’est à la mode. A 45 ans, je suis beau comme un camion avec mes Converse toutes neuves et ma veste de treillis kaki. Je voyage. Je suis un citoyen du monde. Skype me connecte à ma petite sœur partie tenter sa chance en Nouvelle-Zélande. Sur Twitter, je me solidarise avec mes amis iraniens. J’étais à New York pour l’élection d’Obama. J’ai pleuré en écoutant Angela Merkel, sous la pluie, parler de « Freiheit », liberté, sur les vestiges du Mur. Je file à Berlin, 45 euros aller-retour avec Easy Jet. Assiste à la performance d’une artiste mi homme mi femme. M’envole pour Amsterdam. Nouveaux quartiers et coffy shop. Même fumer une cigarette au comptoir me paraît dingue. Alors choisir mon herbe sur le menu…

A mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s’accroître en compensation.

Aldous Huxley, Le meilleur des mondes

Mon voisin du dessous est kabyle, son couscous est un délice, sa femme une apparition. Au-dessus, ma voisine parle hongrois et sait tout du Kama-Sutra. Elle ne veut pas se marier ou alors pour de faux. Avec elle, je découvre les trésors cachés de la musique yiddish, sur Internet en libre accès. Elle m’écrit un mail cochon dans sa langue. Google me traduit sa prose en un millième de seconde. Proposition de partie fine. Mes parents ont fait 68 mais votent Sarkozy. S’ils me voyaient ! Je prends des rides et du bide. La peur de la mort, c’est pour les autres. Avec un peu de chance je vivrai jusqu’à 150 ans. Vivre si vieux, ce n’est pas comme mourir. Cellules souches, thérapie génique, opération au laser. Si ça se trouve, j’appartiens à la première génération post-humaine. Je suis Néo dans Matrix. Déjà, avec mes copains, j’expérimente la réalité augmentée. Façon « Existenz », de Cronenberg. Ma ville empeste les gaz d’échappement. Tant mieux, la fin du pétrole est pour demain. Au lieu d’une Clio qui pue, j’aurai une Clio électrique. En attendant, vacances en Bretagne ; je loue une coquille de noix à un pêcheur pour trois fois rien.

Homme libre, toujours tu chériras la mer.

Le monde tout entier aspire à la liberté, et pourtant chaque créature est amoureuse de ses chaînes. Tel est le premier paradoxe et le noeud inextricable de notre nature

Shrî Aurobindo, Aperçus et pensées

L’homme écartelé

Qui suis-je ? L’Homme de la peur ou celui de la Liberté ? Ni l’un ni l’autre. Je suis les deux. Schizophrène, j’erre dans la modernité en jouant aux apprentis sorciers avec mon identité, ma vision du monde, comme on disait dans le temps. Weltanschaung. Je pioche ici et là. Mais que me reste-t-il ? Tous les « ismes » ont failli. Marx et Freud ont chacun leur « livre noir ». Je veux être libre mais je suis tenaillé par la peur.

L’avenir m’effraie et m’excite.

On le sent, on le voit, on le pense : individus et sociétés sont tiraillés. La « foire à tout » du sens est un capharnaüm géant, où chaque prophète devant son étal rivalise avec son voisin pour attirer le chaland orphelin des idéologies globales du siècle dernier. Les uns hurlent : viens dans ma secte, engage toi, vote pour moi, marie-toi, procrée, sois propre, n’aie rien à te reprocher, arrête de fumer, mange cinq fruits et légumes – bio – par jour, fais du sport, élève le mur qui te protège. « Revêtons nos préjugés car ils nous tiennent chaud », disait Barrès, philosophe de la contre révolution qui donne encore son nom à une avenue à Neuilly (tiens tiens). Axiome d’autant plus percutant quand la fin du monde est pour demain. Les millénaristes se lèchent les babines, ringardisant un Le Pen qui avait pourtant bien vu le coup venir.

Les autres disent : apprends, aime, aide, crée ! D’accord, mais ce n’est pas si facile. La liberté, ce truc de riches…

Comment ne pas être écartelé ? Comment organiser la concorde entre le Doctor Jekyll et le Mister Hyde qui se font la guerre dans nos âmes ?

Le courage consiste à dominer sa peur, non pas à ne pas avoir peur

François Mitterrand, Mémoire à deux voix

Les réponses clés en main, c’était le monde d’hier. Alors comment faire ? Parce qu’il va bien falloir le trouver, ce chemin vers la liberté. « Difficile liberté », écrivait Lévinas. Il va bien falloir les vaincre, ces peurs superstitieuses, d’un autre âge, celles que moquaient avec acidité le Voltaire militant de L’Affaire Calas, le Montesquieu de L’Esprit des Lois, et tous les autres amoureux de la liberté, Kant, Fromm, Hugo, Camus. Pas d’humanité sans liberté. Pas de liberté sans responsabilité. S’émanciper de sa condition animale. Briser ses chaînes. Apprendre à vivre sans Dieu. Dominer sa peur. Se dominer soi-même, donc. Donner tort à La Boétie, philosophe de la « servitude volontaire » : « La seule liberté, les hommes ne la désirent point. ». Et s’il était temps de la désirer ?

Thierry Keller, Blaise Mao et Jérôme Ruskin, de la revue Usbek & Rica

Crédits Photo: “The Future”, CC FlickR, par h.koppdelaney


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Quand le patronat s’enrhume, les salariés toussent http://owni.fr/2009/08/31/quand-le-patronat-senrhume-les-salaries-toussent/ http://owni.fr/2009/08/31/quand-le-patronat-senrhume-les-salaries-toussent/#comments Mon, 31 Aug 2009 06:36:19 +0000 Agnès Maillard http://owni.fr/?p=3011

Alors, ça y est ? Bien rentrés de vacances ? La peau tannée, l’œil vif et le poil brillant ?
Ça tombe bien, parce que la rentrée va être chaude bouillante… pas la rentrée sociale, le bon vieux marronnier que l’on nous sert à chaque fin d’été, non, votre rentrée à vous, sur fond de fièvre grippale et de dérogations massives au Code du travail…

PenseurParce que pendant que vous jouissiez, à juste titre, de votre repos annuel tellement bien mérité, d’autres ont trimé comme des malades pour vous savonner sous les arpions la planche du retour au turbin, opération déjà bien exténuante et déprimante s’il en est.

Même si vous preniez vos vacances au fin fond du bled, dans une zone blanche ravitaillée par les corbeaux, il ne vous aura pas échappé que la grande affaire du moment c’est l’épidémie, que dis-je, la pandémie de grippe H1N1 qui n’attend que votre retour sous le joug pour fondre sur vous comme la vérole sur le bas clergé breton et menacer par sa virulence les timides prémisses d’une reprise économique ô combien espérée, annoncée, claironnée et qui échappe encore et toujours à toute tentative d’observation, fût-elle avec un microscope à balayage électronique. Car voilà, ce ne sont pas les vilains banquiers, les méchants traders ou même la simple cupidité de toute une petite humanité de profiteurs sans vergogne qui plombent la marche triomphante du libéralisme débridé vers des lendemains qui chantent avec des trémolos dans la voix, non, ce n’est pas non plus l’impuissance ou l’insolvabilité, aussi organisées l’une que l’autre, des grands États face aux conséquences prévisibles d’une dérégulation à la hache de toute la vie économique de la planète qui nous met dans la merde jusqu’au cou, non, c’est la foutue grippe.
Attention ! on ne parle pas là de la petite grippette annuelle qui régule chaque hiver la population des maisons de retraites et de convalescence du monde libre et bien organisé, mais bien de la grippe mondiale, le fléau de Dieu, le virus ultime avec un nom de robot de film de science-fiction, pour coller encore plus les jetons si c’était encore possible.

Qu’importe si la grippe n’est qu’un épiphénomène par rapport à bien d’autres pandémies, réelles, tenaces et bien installées, qui lessivent année après année les populations jeunes et non solvables des sous-continents méprisés et surexploités, ce qui compte, c’est que nos petites sociétés en coton flippent bien grave à l’idée de se retrouver avec les naseaux dans un mouchoir jetable et un thermomètre dans les fesses, suffisamment en tout cas pour accueillir avec joie et gratitude toute initiative qui aurait pour but de les protéger de ces miasmes menaçants.

Donc, le gouvernement nous prépare à lutter contre le grand fléau en achetant des millions de masques et de vaccins, en diffusant des spots de pub bien flippants sur toutes les ondes et… en dépotant sous le manteau quelques jolies circulaires qui, étrangement, parlent bien peu de santé publique et bien plus de santé économique. Morceaux choisis et commentaire de texte de la circulaire émise le 3 juillet dernier par la Direction Générale du Travail :

L’employeur peut adapter l’organisation de son entreprise et le travail de ses salariés via la négociation avec les institutions représentative du personnel [...] ou, à défaut, par décision unilatérale après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel.
[...] Changement des conditions de travail : nouvelles conditions d’exécution de la prestation de travail (augmentation du volume horaire par des heures supplémentaires, augmentation des tâches à effectuer sans s’écarter des attributions contractuelles…) par décision unilatérale de l’employeur (le refus de l’employé, sauf s’il est protégé, constitue une faute pouvant justifier le licenciement.
Modification du contrat de travail : cela touche aux éléments essentiels du contrat…

Pour faire simple, quand la phase 5B de la pandémie sera décrétée par notre gouvernement (pour mémoire, nous sommes actuellement en phase 5A), subitement, l’employeur va prendre les pleins pouvoirs dans l’entreprise et décider tout seul comme un grand de toutes les mesures nécessaires pour maintenir son activité économique. Vous avez bien lu : ce qui compte, ce n’est pas la santé des salariés, des fournisseurs ou des clients, non, ce qui compte, c’est que le pognon continue à circuler. Et si pour ça, le pauvre patron se retrouve contraint de se torcher avec le Code du travail parce que ses salariés tombent comme des mouches, ben, tant pis, faut savoir ce qu’on veut dans la vie. En gros, tout ce qui est législation sur le temps de travail, en dehors de la seule limite supérieure de 60 heures de travail hebdo, ben le salarié survivant, il va pouvoir se le carrer dans l’œuf bien profond : suspension (temporaire, bien sûr) du repos hebdomadaire, des récupérations obligatoires, des RTT, des congés et tout et tout. Tu parles que la bataille contre le travail du dimanche, c’est de la roupie de sansonnet à côté de cet équarrissage en règle. En plus de ça, le patron peut décider tout seul comme un grand de modifier la nature des contrats de travail de ses salariés, pour l’intérêt supérieur de l’entreprise. Changement de poste, d’attribution, d’affectation, de salaire (héhé !), etc. Et au cas où vous n’auriez pas bien compris où sont les priorités, le droit de retrait des salariés est suspendu. En gros, ceux qui se sentent un peu fragiles et se disent qu’un éternuement de plus pourrait bien être un éternuement de trop, ils ne pourront pas arguer du droit de retrait pour éviter de venir se faire contaminer au boulot.

Bref, c’est avec ce genre de petites choses que l’on mesure très exactement la valeur de la vie humaine dans une société et que l’on peut correctement établir l’échelle des priorités de ceux qui prétendent gouverner pour l’intérêt général.

Bonne rentrée quand même !

NB : en pièces jointes dans l’article original, la circulaire en question, plus sa petite sœur du 26 août à destination de la fonction publique (moins mal lotie, en moyenne, que le privé)

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